Ce Pelléas et Mélisande réalisé au Theater an der Wien en janvier 2009, constitue très probablement une nouvelle étape dans la carrière de Laurent Pelly. Metteur en scène prolifique, aussi à l’aise au théâtre qu’à l’opéra, il s’était jusqu’à cette date surtout fait remarquer dans la comédie, son humour caustique, sa manière de revisiter les grands classiques de l’opérette ou de l’opéra comique n’ayant pas d’équivalent en France : son Orphée aux enfers bien sur, sa Belle Hélène et sa Grande Duchesse de Gérolstein cousues mains pour Felicity Lott (au Châtelet), sa Fille du régiment plébiscitée par les plus grandes scènes, sa ravissante lecture de L’elisir d’amore (Bastille), sans oublier sa délirante Platée (à Garnier), risquaient pourtant de limiter son champ d’action.
S’attaquer au chef d’oeuvre de Debussy, à ce drame de l’amour et de la jalousie avec la même authenticité, la même patte et le même univers était donc un défi que Laurent Pelly a remporté haut la main.
Les imposants décors montés sur tournette, créés par la fidèle Chantal Thomas, véritable bric-à-brac où s’entrechoquent rochers, lits, escaliers en colimaçon, fontaine, troncs d’arbre, portes et cloisons répartis sur plusieurs niveaux, sont à l’image de cette étrange terre d’Allemonde sur laquelle règne le vieil Arkel : un monde imaginaire, baroque, tantôt accueillant, tantôt repoussant. Les lumières de Joël Adam en définissent les contours, en soulignent les arêtes pour renforcer les brusques changements d’atmosphère, en accord avec la musique si descriptive de Debussy. Ce cadre incertain autant qu’instable permet à Pelly d’y faire évoluer ses personnages et de raconter l’histoire d’amour impossible de Pelléas et de Mélisande, jeune inconnue recueillie puis épousée par Golaud.
Parfaitement préparés et minutieusement dirigés, les interprètes se plient avec aisance à la vision de leur metteur en scène, jouent avec naturel des contrastes de leurs âges (vivacité, naïveté, inconscience pour Pelléas comme pour Mélisande, sévérité, austérité, réserve pour Golaud et Arkel) et de leurs conditions (amis, amants, parents, maîtres et domestiques pour le autres). Jeunes et bondissants Pelléas et Mélisande ne mesurent à aucun moment les conséquences de leur rapprochement, les jeux innocents qu’ils partagent se concluant par un baiser et des aveux pleins de tendresse. Grâce à eux la vie est revenue dans ces lieux mortifères et pétrifiés. Stéphane Degout, voix haute et altière à la diction exemplaire et Natalie Dessay pour une fois surprenante de sobriété, leur confèrent un charme et une justesse rares, sans cesse renouvelés par de jolies trouvailles scéniques (scène de l’anneau et des cheveux notamment).
Inquiétant, à fois protecteur et brutal, Laurent Naouri est le plus complet des Golaud : vieil homme détruit de l’intérieur, sombre et malheureux, il veut croire à l’amour, mais sent le sol se dérober face à cette troublante épouse dont il ne connaîtra jamais les intentions. Vautour déplumé penché sur le lit de la mourante, sa façon de harceler Mélisande aura rarement été aussi terrorisante et avec quelle voix, longue et vibrante. Marie-Nicole Lemieux est une Geneviève imposante au timbre puissant, Philip Ens un émouvant Arkel plein de sollicitude et Beate Ritter un Yniold crédible et convaincant.
Reste la direction nerveuse et palpitante de Bertrand de Billy dont le tempo soutenu et le style parfois vigoureux accentuent l’urgence dépeinte sur le plateau. Rien d’éthéré dans cette lecture débordante, où l’impression de flux continu prédomine, merveilleusement accordée la vision résolument personnelle et singulière de Laurent Pelly. Déjà un classique !
François Lesueur