Avouons-le : on abordait ce récital à reculons. La faute au contenant, pour commencer, qui exhibe, tant sur la couverture que dans le livret des photos de la diva grimée en marquise décadente, à grand renfort de poses languides et de maquillage outrancier dans un décor tout droit sorti d’une mauvaise adaptation cinématographique d’un quelconque roman du regretté marquis de Sade.
Et puis il y avait le programme : l’éclectisme ne nous effraie pas, mais un peu de cohérence ne saurait nuire. Or, le programme de ce « first ever récital of operatic arias » de Christine Schäfer, comme le proclame fièrement la pochette, nous conduit de Haendel à Messiaen, soit, gaillardement, tout de même 250 ans de musique. Réunir en un même récital l’opéra baroque, le belcanto de stricte obédience, le Verdi tardif, l’opéra français à son plus suranné, la conversation en musique de Strauss et les extases mystiques de Messiaen, sans oublier une touche de Schönberg, n’est-ce pas pousser un peu loin le syncrétisme vocal ?
C’est en tout cas un sacré pari de la part de la chanteuse (et de son producteur). Et pourtant…Pourtant, à l’écoute, c’est plutôt la cohérence qui frappe, si l’on excepte la Polonaise de Mignon, hors sujet à tous égards (on y reviendra). Cette cohérence est à chercher dans le caractère doucement nostalgique et/ou introspectif des morceaux choisis avec, en fil conducteur, l’éternel (et quelque peu rebattu) débat de la primauté du texte ou de la musique. On est frappé par les parentés que font naître certains rapprochements en apparence peu évidents. On pense en particulier à l’enchaînement Strauss-Bizet-Verdi, assez troublant car particulièrement réfléchi.
Et la prestation de Christine Schäfer, dans tout ça ? Elle ne laisse pas indifférent. La voix évolue quelque part entre celle de Natalie Dessay et de Patricia Petibon : voix de soprano légère, parfois presque blanche, à l’aigu flatteur, servie par une diction avantageuse et un engagement de tous les instants, à l’aise dans la cantilène comme dans l’emportement. On pense, par moment, à la voix de la jeune Anja Silja, jusque dans les duretés et les stridences qui émaillent, ça et là, la ligne de chant.
Le jugement final dépendra de la sensibilité de chacun à ce type de chant, qui privilégie la sincérité de l’engagement dramatique à la pure beauté plastique (encore que cette dernière ne fasse pas totalement défaut, loin de là). Quoi qu’il en soit, voilà une Desdemone qui, bien que de timbre peu idiomatique, sait émouvoir, et phrase La chanson du Saule et l’Ave Maria comme si elle avait déjà un pied de l’autre côté. Voilà une Comtesse Madeleine qui semble vivre dans sa chair le déchirement du choix entre le poète et le compositeur. Entendons-nous bien : chaque air, pris isolément, trouve des interprétations plus achevées, et on ne prétend pas reconnaître en Christine Schäfer la Madeleine absolue ou la Desdemone de ces 30 dernières années. En outre, on aurait aimé que la chanteuse caractérise davantage les différents personnages qu’elle incarne. Tous sont servis ici avec la même voix, ce qui finit par être un brin gênant. Le seul véritable faux pas de ce récital (car il y en a un ) est une Polonaise de Mignon, qui trouve Schäfer complètement décalée sur le plan du style, et – plus surprenant- à la peine dans la vocalisation (assez impitoyable, il est vrai…). Le résultat est franchement pénible. Mais, on l’aura compris, c’est au programme de ce récital dans sa globalité que s’applique notre jugement. On peste suffisamment contre les enregistrements passe-partout qui voient chanteuses et chanteurs en mal de notoriété aligner jusqu’à plus soif les mêmes sempiternels tubes pour ne pas saluer celle qui, dans sa singularité, prend le risque de l’originalité.
Un bon point, pour finir, décerné à l’accompagnement attentif de Julien Salemkour à la tête d’un DSO Berlin inspiré.
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