L’histoire doit être lue à la manière d’un conte de fées. Enfant, Joseph Calleja a toujours aimé chanter, mais c’est seulement après avoir vu – et surtout après avoir entendu – Mario Lanza dans The great Caruso que le futur « Maltese tenor » comprend que la musique, « ce n’est pas seulement Metallica ou Iron Maiden » et décide de devenir chanteur d’opéra plutôt que pop star.
Le temps a estompé l’incroyable popularité que connut dans les années 50 Mario Lanza. Ce fils d’immigré italien, né à Philadelphie, incarne le rêve américain dans toutes ses dimensions y compris la plus tragique, sa disparition prématurée rejoignant celles d’autres artistes, appelés à devenir des mythes : James Dean, Marylin Monroe. Pour autant, le fameux interprète du Grand Caruso n’est pas considéré par les amateurs d’opéra à l’égal d’autres grands chanteurs de l’époque. Ses disques se sont vendus par millions mais ses apparitions scéniques se comptent sur les deux doigts de la main : Fenton – non dans Falstaff mais dans Les joyeuses commères de Windor de Nicolai – en 1942 et Pinkerton en 1948. Bien que doté d’une véritable voix de ténor dont l’immédiate séduction latine reste perceptible à travers une flopée d’enregistrement,s Mario Lanza préféra orienter sa carrière vers la variété et le cinéma, deux disciplines lucratives qui précipitèrent sa chute. Poursuivi par le Fisc, il se réfugia en Italie où une crise cardiaque le terrassa à moins de 40 ans. Au même âge ou presque, Joseph Calleja ose à son tour le cross-over pour rendre hommage à celui qui lui traça la voie.
L’approche n’est pas sans rappeler celle de Roberto Alagna, bercé dans son enfance par la voix de Luis Mariano, offrant en 2008 au grand public une compilation de ses meilleurs tubes. Sauf que là où le Français, épaulé par Yvan Cassar, se démarquait de son modèle pour proposer une véritable réinterprétation de son répertoire, le Maltais se contente d’imiter. Là où Alagna adaptait sa façon de chanter – et Cassar son orchestration – à un style, à une époque et à une vocalité, Calleja – et Steven Mercurio à la tête du BBC Orchestra – reprennent telles quelles les partitions sans se poser davantage de questions. La comparaison, si elle n’est pas raison, devient alors inévitable. Et à ce petit jeu, la copie ne triomphe que rarement de l’original. Il ne suffit pas, tout au long de ces sérénades débitées main sur la poitrine, d’aligner les notes, y compris le contre-ut, mythique, de « Be my love ». Il ne suffit pas de briller, que ce soit à travers le chatoiement d’un orchestre poli à l’encaustique, ou via l’éclat d’une interprétation qui bombe du torse et, un peu maladroitement parfois, cligne de l’œil. Il faut, ce que Calleja ne possède pas, la touche « ultra bright », l’étincelle qui fait chavirer les cœurs mais aussi le timbre ravageur, le mâle velours du son, sur toute la longueur, le frisson épidermique de la caresse vocale, ce sourire permanent de beau gosse qui illumine le chant de Mario Lanza.
Que l’on revienne à la source – l’opéra – et la tendance s’inverse. Aussi séduisant soit-il, l’aîné ne possédait pas dans le grave l’assurance du cadet, qui nous vaut ici un « Nessun dorma » orgueilleux. Son français était épouvantable (« la fleur que tu m’avais jetée ») alors que celui de Calleja semble encore avoir progressé. Restent donc, pour se consoler d’un récital en deçà, les quelques airs d’opéra qui émaillent le programme. On y vérifie les qualités qui font du Maltais l’un des meilleurs ténors du moment : la voix, unique avec pour marque de fabrique son léger grelot, la maturité ensoleillée d’un chant, lyrique par essence, qui a su élargir son assise sans renoncer à sa lumière, l’impression de facilité que, depuis Pavarotti, l’on n’avait pas ressenti à ce point. Mais on y retrouve aussi le défaut qui nous avait déjà détourné de son précédent récital au disque : une tendance à tout chanter pareil, sans recherche, ni effort de caractérisation. Une uniformité dans l’expression qui, ajoutée à un programme déjà maintes fois enregistré, finit par engendrer un sentiment que l’on a pu parfois éprouver en regardant les films de Mario Lanza : l’ennui.