En France, qui connaît encore Ivor Novello (1893-1951) ? Les cinéphiles savent qu’il fut l’interprète d’un des premiers films (muets) d’Alfred Hitchcock, The Lodger (1927), et certains se souviennent peut-être de Jeremy Northam jouant dans Gosford Park le rôle de cet acteur fort célèbre en son temps. Dans le film de Robert Altman, Ivor Novello divertit les châtelains par ses talents de compositeur de comédies musicales : il s’accompagne au piano pour chanter « I can give you the starlight », et sa valse « Waltz of my heart », au piano, figure également dans la bande-son de ce long métrage sorti en 2002. Quant à Noel Coward (1899-1973), notre pays semble superbement ignorer ce Sacha Guitry anglais : malgré quelques tentatives ponctuelles d’adaptations sur les scènes hexagonales, son théâtre, parlé ou chanté, ne s’est jamais durablement imposé chez nous.
C’est pourtant Yvonne Printemps qui eut le privilège de créer à Londres en 1934 le rôle principal (écrit pour elle) dans Conversation Piece, et donc d’être la première interprète de l’air qui donne son titre au disque aujourd’hui réédité par Decca (et reporté pour la première fois en CD, nous assure-t-on). L’héroïne de cette comédie située en 1811 est une danseuse qu’on fait passer pour une riche héritière, et lors d’un concert donné à Monte Carlo en 1991, Felicity Lott s’était amusée à imiter l’inimitable anglais que parlait la grande Yvonne, du moins pour le premier couplet de « I’ll follow my secret heart », le reste étant interprété avec un chic et un chien qui font regretter amèrement que « Flott » n’ait pas davantage enregistré ce répertoire. On ne peut donc que s’interroger lorsqu’on découvre Hilde Güden dans cette sélection de mélodies dues à messieurs Novello et Coward. En 1957, cette soprano autrichienne était reconnue comme une grande straussienne : elle était Sophie depuis un certain temps, sa Zerbinette avait ébloui Salzbourg trois ans auparavant, et elle devait graver en 1964 une version anthologique de Daphne. Qu’avait-elle de commun avec le théâtre du West End londonien ? Fort peu de chose, on s’en doute, mais elle pouvait prêter à ces mélodies sucrées un timbre léger et quelque peu schwarzkopfien, la préciosité en moins. Sous un épais nappage de harpes et cordes hollywoodiennes, pas question de conférer la moindre distance, la moindre ironie à ces airs que Fraulein Güden chante en y mettant tout son cœur, quitte à être un peu à côté du ton voulu.
Tant qu’à faire de donner dans le kitsch, on savourera peut-être plus franchement la quinzaine de plages ajoutées en bonus par Decca (qu’on ne félicite pas, soit dit en passant, pour l’absence totale de travail éditorial : certes, le CD reproduit l’étiquette du microsillon original, mais il faut se contenter en guise de livret d’accompagnement d’une photo microscopique du revers de la pochette de 1957). Avec ces extraits d’un disque intitulé Hilde Gueden Sings Music from Vienna, on découvre un tout autre univers, avec accordéon et autres instruments folkloriques. Les viennoiseries s’enchaînent, la valse du Freischütz passe par là, et Hilde Güden s’avère beaucoup plus piquante, natürlich. Alors que dans les comédies anglaises, on la sentait bridée, elle s’autorise ici tous les effets appropriés, les ralentis et les glissandos les plus excessifs mais délicieusement dans le style.