Après le CD Opera Arias (2002) et le DVD Airs sacrés (2006), Sandrine Piau revient à Mozart, par le biais d’airs tirés d’œuvres de jeunesse qu’elle n’avait pas encore enregistrés, mais en abordant aussi les rivages tellement plus fréquentés de la trilogie Da Ponte. Ce faisant, elle s’attaque à un répertoire pour lequel notre mémoire auditive est, à tort ou à raison, pleine d’antécédents, et ce disque Mozart suscite nécessairement la comparaison, avec d’autres, mais aussi avec elle-même une douzaine d’années auparavant. L’un pourra lui reprocher un certain manque de crémeux, l’autre la jugera sous-dimensionnée pour des airs où l’on a entendu de tellement plus grandes voix. S’il est difficile de faire entièrement abstraction de plus d’un demi-siècle d’histoire du disque, du moins est-il permis de vouloir écouter ce récital avec les oreilles les plus vierges possibles.
Premier constat rassurant : Sandrine Piau ne se prend ni pour la Comtesse, ni pour Fiordiligi. Donna Anna est le seul rôle « canonique » qu’elle enregistre ici (et qu’elle tint lors de la reprise de la trilogie Da Ponte mise en scène par Pierre Constant au TCE en 2010). Dans Les Noces de Figaro, Susanna pourrait fort bien faire partie de ses emplois, qu’elle l’ait chantée ou pas à la scène, mais la voix n’est-elle pas désormais trop mûre pour Barbarina ? Accompagnée par un orchestre beaucoup trop rapide, « L’ho perduta » paraît ici un peu hors de propos. « Deh vieni non tardar » pèche aussi par un rythme trop allant, qui ne permet guère à l’interprète de faire preuve de sensualité, et l’on ne dira pas merci à Ivor Bolton. Quant à « Non mi dir », l’aigu s’est durci, il manque de moelleux, de cette beauté instrumentale qu’on attend chez Mozart. Le chant n’est jamais aseptisé ou froid, ce qui est une qualité, mais on ne retrouve pas vraiment l’aisance avec laquelle Sandrine Piau exécutait jadis les traits les plus virtuoses, et la voix semble avoir perdu la candeur juvénile qui la caractérisait, sans nécessairement s’étoffer par ailleurs. Ce manque de chair est surtout sensible dans « L’amerò » du Re Pastore : les notes hautes sont fragiles, et les notes graves pas assez audibles.
Finalement, le meilleur de ce disque, on le trouvera dans ces extraits d’œuvres qui préfigurent les chefs-d’œuvre de la maturité, pour des personnages comme la Sandrina de La finta giardiniera ou la Giunia de Lucio Silla, où la relative absence de références canoniques autorise une écoute plus sereine. Même dans Idomeneo, nous disposons du témoignage laissé par les gloires d’antan (qui pourra jamais rivaliser avec l’Ilia de Sena Jurinac ?). Après avoir été Ismene dans l’intégrale de Mitridate dirigée en 2000 par Christophe Rousset, Sandrine Piau ose à présent Aspasia, dont elle a déjà donné en concert – et gravé en 2002 – les deux premiers airs, les plus virtuoses. Avec son récitatif accompagné et la scène où l’héroïne hésite à boire le poison, « Pallid’ombre » permet à la soprano de déployer tout son art de la déclamation théâtrale : la pratique du répertoire baroque porte ici ses plus beaux fruits, et l’on retrouve ici des accents si appréciés dans la tragédie lyrique française. Même remarque pour la grande scène « Crudeli, oh Dio ! Fermate » de La finta giardiniera, où l’émotion est tangible et nous prouve tout ce dont Sandrine Piau est capable dans les partitions qui lui conviennent le mieux.