Qu’est-ce qui a bien pu se passer dans la tête de Rinaldo Alessandrini lorsqu’il décida de se consacrer à cet enregistrement ? Présenté sous le titre de « Stories of lovers and warriors », le corpus de ces madrigaux « nocturnes » frappe par son originalité. Hor che’l ciel e la terra côtoie le Combattimento et Al lume delle stelle répond directement au Lamento della ninfa, le tout dans un surprenant patchwork mêlant chefs-d’œuvre et raretés. Comment expliquer cet étrange bouquet que seule la nuit semble unir ? Le chef italien répond volontiers à nos questions dans le livret : le stile rappresentativo si cher à Monteverdi permet « l’apparition quasi immédiate de « lieux » théâtraux privilégiés propres à stimuler des sensations particulières ». Toujours selon le chef, la nuit compte comme l’un de ces lieux, l’une de ces atmosphères, car elle est « le moment où l’absence de lumière révèle les aspects cachés et souvent mystérieux du réel ». Résumons: la nuit va bien à Monteverdi, et le Concerto Italiano va se charger de nous le prouver.
Saluons déjà la construction habile de cet enregistrement. Afin de garantir l’unité de ce qui aurait pu être un patchwork décousu, nos madrigaux nocturnes sont reliés par des « interludes » instrumentaux, tous extraits de la trilogie opératique du compositeur. Ce qui nous avait semblé hasardeux est en réalité du meilleur effet.
Cette ambiance nocturne, Hor che’l ciel e la terra la dépeint probablement le mieux dans tout l’œuvre de Monteverdi. Dans ce désert sombre que sont les premières mesures du madrigal, on constate que le Concerto n’a rien perdu de son équilibre et de sa transparence. « Veglio, penso, ardo » vient confirmer l’aisance du chef et sa grande connection avec l’ensemble dont il est le fondateur. Tout y respire naturellement, dans un tempo souple mais toujours bien défini, mot d’ordre pour tout l’enregistrement.
Si l’on en trouve déjà dans ce madrigal-ci, c’est surtout dans le Combattimento qu’Alessandrini nous montre de quoi ses musiciens sont capables quand il s’agit de parler de la guerre. Le phrasé est vigoureux et nerveux, mais (Dieu merci) jamais brinqueballant ou empêtré, donnant aux passage en stile concitato leur dynamisme nécessaire, et accentuant les contraste avec le style amoureux plus alangui. C’est seulement ici que l’on voit poindre la seule faiblesse de l’enregistrement : la belle voix du Testo de Raffaele Giordani est quelque peu noyée sous les grondements des musiciens, défaut que l’on reverra çà et là dans les autres passages animés sélectionnés.
Autre pièce majeure signifie autre surprise, et le Lamento della Ninfa ne déroge pas à la règle. En effet, un auditeur distrait serait peut-être déçu, voire fâché contre la Nymphe d’Anna Simboli. Qu’est-ce que ces tenues impertinentes et ces accents expressionnistes viennent faire dans la musique de Monteverdi ? Pourtant, en y réfléchissant deux fois, on constate rapidement que cette émission moins orthodoxe est la clef pour l’un des Lamento les plus expressifs que nous ayons entendu, arrachant littéralement les sanglots de l’interprète, et tirant sans peine les larmes de l’auditeur le plus obtus. Pour nous remettre de nos émotions, rien de tel qu’Al lume delle stelle, où les solistes vocaux du Concerto Italiano prouvent une fois de plus que la musique « ancienne » met aussi bien en valeur la voix que le grand répertoire scénique, avec des vocalises étourdissantes de facilité et d’expressivité.
Pour conclure notre cheminement nocturne, le Concerto nous réserve un double lever de soleil. Ecco mormorar l’onde nous berce gentiment au gré de ses courbes madrigalisantes tandis que Quando l’alba in oriente (seul extrait des Scherzi musicali) nous fait apparaître l’aube dans toute sa splendeur rayonnante, chassant les doutes, les passions guerrières et amoureuses jusqu’à la prochaine tombée de la nuit.