Au moment de chroniquer cet enregistrement, l’émotion nous submerge : Il y a six ans, notre si chère Mélanie Defize, victime du terrorisme, tragiquement disparue dans les attentats de Bruxelles le 22 mars 2016, avait dressé pour Forumopera le portrait le plus complet, le plus sensible, le plus érudit aussi, de l’héroïne du grand opéra de Stanislas Moniuszko (1819-1872) : Halka.
On ne fera pas à Mélanie l’outrage de paraphraser ou de commenter un texte magnifique où tout est dit sur le rôle singulier du compositeur polonais dans une Europe lyrique dominée par Verdi et Wagner et la figure populaire de Halka, la jeune fille perdue, « antithèse de l’héroïne nationale ».
Ce double album est aussi le dernier enregistrement du chef d’orchestre Gabriel Chmura (1946-2020) que j’ai eu la chance de bien connaître et d’inviter plusieurs fois à Liège. Gabriel Chmura est mort quelques mois après la captation « live » – le 11 novembre 2019 – de Halka dans les murs de l’opéra de Poznan (Pologne) dont le chef était devenu le directeur artistique en 2012.
C’est à la soprano polonaise Magdalena Molendowska, médaille d’or en 2013 de la Guildhall School de Londres, qu’échoit le rôle titre qui lui est familier depuis une bonne dizaine d’années. Aigus maîtrisés, vibrato parfois relâché, elle dépeint avec une même évidence la modestie de sa condition de paysane, ses impossibles rêves, le désespoir abyssal qui va la mener à la folie, comme à l’acte I dans son air éploré « Tel un arbrisseau » ou à l’acte IV sa plainte inextinguible relayée par le violoncelle solo « Oh mon petit ».
Le cynique Janusz, le seigneur qui délaisse la pauvre Halka, est joué par Lukasz Gorlinski qui a débuté dans Le Manoir hanté du même Moniuszko. On l’a vu en Escamillo à Rome sous la baguette d’Antonio Pappano. Zofia, celle qu’il épouse au détriment de la jeune paysanne, est incarnée par le sombre mezzo de Magdalena Wilcynska-Gos
Belle vaillance du ténor Dominik Sutowicz (Jontek) qui s’est illustré sur les scènes polonaises en Cavaradossi ou en Pinkerton. On l’écoutera avec émotion dans son grand air de l’acte IV « Des sapins murmurent sur les cimes » où il pleure son rêve d’amour perdu, au son d’un hautbois qui figure un joueur de cornemuse. Pas de grand opéra romantique en pays slave sans forces chorales puissantes : celles de l’opéra de Poznan font merveille, tout comme l’orchestre conduit par un Gabriel Chmura, attentif et précis, qu’on aurait peut-être aimé plus engagé.
Même si on ne comprend pas le polonais – ce qui est mon cas – le synopsis détaillé du livret permet de suivre l’action, et le langage musical coloré de Moniuszko, mêlant habilement mélodies et rythmes aux tournures populaires, récitatifs et ensembles d’une poésie touchante, facilitent l’écoute heureuse de cet ouvrage.
https://www.youtube.com/watch?v=1qo8_nhpC80