En réunissant sur le même disque deux œuvres religieuses du baroque français, Vincent Dumestre entre en concurrence avec quelques uns de ses grands prédécesseurs – et nous verrons qu’il s’impose sans difficulté parmi eux – mais s’attache aussi à montrer, ou peut-être est-ce inconsciemment, toute l’évolution que continue de connaître l’interprétation de la ce répertoire depuis la grande révolution initiée au tournant du dernier quart du siècle passé.
De ces deux œuvres, l’une est extrêmement connue et déjà enregistrée de nombreuses fois, mais l’autre est beaucoup moins fréquente au disque. Le Miserere à trois voix de Clérambault, en effet n’a été enregistré que rarement (nous avons en mémoire une seule version par les Demoiselles de Saint-Cyr) et méritait certainement une nouvelle approche. Vincent Dumestre a choisi trois voix de même tessiture (ce que requiert la partition) mais aussi relativement proches par le timbre, s’harmonisant aisément entre elles et contribuant ainsi à créer une atmosphère plus chambriste que mystique, tour à tour tendre, austère ou virtuose. Regrettons simplement que le livret ne nous éclaire pas davantage sur les circonstances de la composition de l’œuvre, sa redécouverte sous forme de manuscrit difficile à déchiffrer, et la reconstitution ayant donné lieu à l’interprétation présentée ici. Bien du travail de musicographe reste à faire au sujet de Clérambault. On y explique en revanche très bien le rôle primordial de la musique à la cour, destinée à magnifier la puissance du Roi et à chanter sa gloire.
Les Trois leçons de ténèbres sont certainement un des chefs d’œuvre du répertoire religieux baroque français. L’intensité de cette musique, les circonstances particulièrement théâtrales de son exécution dans le cadre liturgique du mercredi saint et le génie propre de Couperin, mais aussi la qualité des interprètes qui au fil des génération se sont penchés sur ces partitions, en ont fait progressivement un incontournable qui, grâce au film « Tous les matins du monde » a fini par toucher le grand public, et c’est tant mieux. La qualité de la partition témoigne aussi de l’importance que revêtait à la cours de Versailles la célébration de Pâques : on sait en effet que toute musique étant interdite en dehors de l’église pendant la période du carême, la cour véritablement sevrée de divertissement était particulièrement réceptive aux premières célébrations du mercredi saint, qui prenaient dès lors une intensité toute particulière. Dumestre et ses troupes réussissent à trouver le ton juste, ni emphatique, ni démonstratif, ni exagérément mystique, mais simplement recueilli, musical, avec une grande attention au texte et à sa prononciation. Au final, l’interprétation paraît particulièrement fluide, très naturellement chantante mais aussi discrètement sensuelle, ce qui est plus inattendu…