En même temps qu’un nouvel opéra – Benjamin, dernière nuit sur un livret de Régis Debray créé à Lyon le 15 mars dernier –, Michel Tabachnik publie un livre – intitulé Ma rhapsodie –, tout à la fois journal confessionnel, recueil de souvenirs et autobiographie. Comme si, enfin délesté d’accusations ignominieuses dans l’affaire du Temple solaire, le chef d’orchestre et compositeur donnait libre cours à sa parole musicale et scripturale ; comme si sa pensée, trop longtemps contenue derrière les barreaux du scandale et de l’injustice, jaillissait prolixe, en une partition jugé trop dense par la majorité de la critique, et en un récit touffu où tous les sujets – personnels, professionnels, existentiels – semblent abordés sans souci apparent de construction.
D’une séance de travail en Israël à des masterclasses siennoises, la petite musique de Tabachnik ne doit pourtant rien au hasard. Une rhapsodie n’est-elle pas une composition aux formes libres ? Si les idées affluent dans un simulacre de désordre, elles n’en sont pas moins limpides. Elles s’égarent au milieu de l’ouvrage dans des considérations philosophiques proches de l’ésotérisme et l’on avoue avoir compté subrepticement le nombre de pages restant à lire. Non que l’on réfute « le principe de synchronicité ». Au contraire. La nouvelle de sa relaxe apprise par Michel Tabachnik alors qu’il visitait la maison de Marie à Ephèse n’a rien d’une coïncidence. Mais n’aurait-il pas fallu consigner ces réflexions « alchimiques » dans un autre ouvrage ?
Que la musique redevienne le sujet premier et l’on est happé par le témoignage, telle cette répétition de Tristan und Isolde où Karajan ne dépassa pas les premières mesures du prélude, revenant inlassablement sur la mélodie des violoncelles seuls. Ou encore les heures « enivrantes » consacrées à l’écriture de Benjamin, les émotions suscitées par Schumann, Debussy ou, pour le chef d’orchestre, le tourment du décalage – à Tokyo dans Petrouchka –, le rapport avec le musiciens, cette recherche difficile de la balance, mot anglais emprunté au vocabulaire du jazz pour désigner l’équilibre des volumes, entièrement assujettie au format et à la configuration de la salle…
L’ordinateur de Michel Tabachnik crépite mieux – comme il l’écrit lui-même – lorsqu’il raconte les rencontres qui ont jalonné et façonné son parcours : Karajan donc, Ansermet, l’avaricieux Markevitch et les « deux poteaux indicateurs » que lui furent Iannis Xenakis et Pierre Boulez. C’est en assistant ce dernier que l’auteur reconnait être « entré en rigueur, rigueur de l’analyse, rigueur du comportement, rigueur de la répétition, rigueur de la préparation ». Son livre s’achève en août 2015 par une déclaration d’amour à sa compagne Sabine et à ses trois enfants demeurés unis à ses côtés dans l’épreuve, « solidaires, affectueux ». Il reprend le manuscrit à la mort de Boulez, en janvier 2016, pour ajouter une postface en forme d’hommage à celui qui reste pour lui plus une référence : un maître et un père ou, selon le joli mot de sa sœur Jeanne, un « chevalier blanc au service de l’autrui musical ».