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De la note au cerveau

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Livre
28 février 2010
Matière sonore et matière grise

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2

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Détails

Daniel Levitin

De la note au cerveau
L’influence de la musique sur le comportement

Traduction de l’anglais (Canada) par Samuel Sfez
Éditions Héloïse d’Ormesson (2010)
363 pages
ISBN : 978-2-35087-129-5

Daniel Levitin est un neuroscientifique qui a travaillé plus de dix années dans l’industrie du disque comme producteur et ingénieur du son. L’ouvrage « This is your brain on music : the science of a human obsession » (Dutton, 2006) peut être considéré comme un livre grand public qui bénéficia d’un relatif succès outre-Atlantique (bestseller du New York Times). Traduit en français par Samuel Sfez sous le titre De la note au cerveau, cet ouvrage est dans la veine du célèbre Musicophilia d’Oliver Sachs : une vulgarisation des processus neurologiques en œuvre lors de l’audition ou de l’interprétation de la musique. Le sujet, a priori passionnant, correspond à une vogue dans les sciences cognitives qui tendent de plus en plus à étudier les spécificités de l’influence des sons musicaux sur nos neurones.

Le propos, aisé à suivre et à comprendre, laisse une large place à des anecdotes personnelles dont le ton se fait volontiers humoristique. Le désir de rendre accessible à tout un chacun, même ceux qui ne sont ni musicien ni scientifique, et la théorie musicale, et les processus neurologiques, amène l’auteur à proposer plusieurs images et comparaisons parfois lumineuses. Les nombreuses références musicales empruntent principalement au répertoire de la musique rock et du jazz mais quelques œuvres de Mozart, Beethoven et Bach, entres autres, sont également mentionnées. L’ouvrage est composé de neufs chapitres aux titres parfois aussi atypiques – sinon déroutants – que « Taper du pied » (chapitre 2), « Tu connais mon nom, cherche mon numéro » (chapitre 5) ou encore « Un déjeuner avec Crick » (chapitre 6). Néanmoins, les sous-titres sont plus explicites et le livre est, dans son ensemble, très clairement organisé. Cependant, nous déplorons quelques simplifications excessives ou approximations dans le corps du texte notamment concernant l’aspect musical. Aussi, le schéma page 39, qui représente les ambitus de différents instruments, est tout simplement erroné (la voix d’un homme ne descendrait pas en dessous du Ré2 – note en milieu de portée de la clef de Fa – d’après cette illustration alors qu’en réalité les chanteurs basses descendent aisément une octave plus bas). L’auteur affirme que le nom du « mode ionien », correspondant à la gamme majeure, « […] rappelle ses origines grecques » (p. 52) et que « si on suit les séries d’harmoniques, on retrouve des fréquences assez proches de la gamme majeure » (p. 99).  En réalité, ni l’appellation, ni l’emploi du « mode ionien » ne sont antérieurs au XVe siècle et les harmoniques s’éloignent notablement de la gamme majeure (fréquence proche d’un Si bémol plutôt que d’un Si bécarre  pour l’harmonique 7 et plus proche du Fa dièse que du Fa bécarre pour l’harmonique 11 à partir de la fondamentale Do). L’auteur cède à la facilité en proposant de définir comme « joyeux » le mode majeur, la tessiture aigüe, le tempo rapide par opposition au mode mineur, à la tessiture grave et au tempo lent qui seraient caractéristiques d’une musique « triste » (p. 81 entre autres, néanmoins l’auteur tempère ces affirmations). Enfin, l’ouvrage laisse place à une courte considération dépréciatrice contre Wagner et sa musique. Il peut être compréhensible que l’auteur n’apprécie pas ce monument de la musique mais les arguments avancés laissent pantois :  D. Levitin n’a « […] pas envie de céder à la séduction d’une musique créée par un esprit aussi perturbé et dangereux que le sien [c.-à-d. celui de Wagner], de peur de développer des pensées similaires. » (p. 296). Le moins que l’on puisse dire est que l’auteur semble avoir un esprit bien perméable aux pouvoirs de la musique dont il surestime certainement l’aspect « subversif ». Côté traduction, on relèvera également quelques imperfections comme dans l’emploi du vocabulaire musical par exemple. Il est question de « mouvement par paliers » (p. 151), qui est la traduction littérale de l’américain stepwise. En français, cela se nomme normalement des « mouvements conjoints ». Autre traduction littérale, les « accords de sept » (p. 331) viennent bousculer l’appellation correcte « accords de septième ». Enfin, le traducteur choisit de conserver le terme « expertise » (probablement de l’anglais expertness) défini ainsi : « Nous appliquons généralement ce mot à quelqu’un qui a atteint un niveau de compétence supérieur à la moyenne. » (p. 247). Le français possède effectivement un deuxième sens pour ce terme dérivé de son emploi en anglais (et conforme à son étymologie) mais les nombreuses occurrences de ce mot pages 247 et suivantes deviennent agaçantes. Ainsi, on peut lire que « Même si Mozart ne s’entraînait pas autant, […] peut-être a-t-il seulement atteint l’expertise par la suite » (p. 250) ou encore « La même chose est valable pour les gènes liés à l’expertise musicale. » (p. 259). N’eut-il pas été plus simple d’utiliser le terme « excellence » qui semble parfaitement s’accorder à la définition donnée ?

En dehors des points sus-mentionnés, qui peuvent être aisément ignorés ou rectifiés, nous regrettons plus généralement la part trop importante de la vulgarisation. L’auteur déclare « […] je dois admettre un parti pris personnel : je préfère de loin l’étude de l’esprit à l’étude du cerveau. » (p. 121). Or, en tant que musicien, ce sont paradoxalement les passages les plus techniques ayant trait à la structure et au fonctionnement du cerveau que nous avons le plus apprécié. Trop de généralités, parfois superficielles, concernant le fonctionnement de l’esprit et l’impact de la musique viennent jeter un voile de discrédit sur la validité de certaines affirmations. Pourtant certaines expériences décrites aboutissent à des résultats à la fois surprenants et passionnants telle, par exemple, la possibilité d’une mémoire « absolue » pour la hauteur tonale et le tempo des œuvres que nous connaissons bien. D’autres hypothèses et affirmations tout aussi intéressantes apparaissent ça et là. Deux annexes et une large bibliographie de 30 pages viennent clore cet ouvrage qui nous laisse un sentiment mitigé. Peut-être ce livre est-il plus particulièrement destiné à des lecteurs qui, ni musicien, ni scientifique, se laisseront éventuellement convaincre par le ton à la fois léger et sérieux (mais aussi lourd de conséquences concernant le « cas Wagner » sus-mentionné) et par les nombreux exemples de chansons, plus ou moins connues, empruntées au répertoire rock et jazz.
 
Lars Nova
 

 

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