Quelle témérité peut donc encourager les jeunes baroqueux à affronter les plus grandes légendes du XVIIIe siècle ? On ne voit pourtant pas de jeunes chanteurs proposer des hommages à Giuditta Pasta ou Adolphe Nourrit, et Camarena, Bartoli, Sutherland ou Flórez étaient déjà au firmament de leur carrière quand ils ont osé célébrer Garcia, Malibran, Jenny Lind ou Rubini. Mais s’agissant des légendes du baroque, combien de présomptueux vocalistes accompagnés par des ensembles étiques ? On comprend bien sûr la tentation, et on applaudit la cohérence d’un programme qui parcourt intelligemment la carrière internationale d’Annibale Pio Fabri, un des premiers ténors à passer au premier plan dans l’opera seria, avec Paita, Barbieri ou encore Borosini. Il y faudrait l’étendue, l’autorité, l’agilité d’un Spyres ; c’est le tout jeune Marco Angioloni qui affronte cet héritage avec l’orchestre qui lui est attaché, Il Groviglio.
La voix est accrocheuse, juvénile, et les coloratures sont affûtées. D’aucuns seront déconcertés par l’italien d’Angioloni – on nous glisse que c’est en raison d’un accent toscan perceptible –, mais aussi par des nasalités et autres scories dans l’émission. Tout cela participait au charme d’Il Canto della nutrice, répertoire de caractère servi par la gouaille et la saveur populaire de ce chant (sans connotation péjorative). Néanmoins l’enjeu est ici différent : il s’agit du belcanto de la plus haute école du premier tiers du XVIIIe siècle. Vivaldi ouvre le disque et expose les limites : ambitus et virtuosité sont mis à rude épreuve dans « La mia gloria », plutôt scolaire. Cruels aussi, les terribles sinuosités et grands écarts imposés par Scarlatti (« Mio dolce nettare »). Le grave, amplement sollicité, manque d’assise, et l’aigu doit encore se libérer. Mais si le navire est chahuté par les difficultés, il ne sombre pas, et les extraits de L’Incoronazione du Dario, moins contraignants, mettent mieux le chanteur en valeur.
Encore plus à son avantage chez Haendel, Angioloni séduit dans les extraits de Lotario, Partenope, et d’autres opéras adaptés spécialement pour Fabri à Londres entre 1729 et 1731. Mieux que chez les Italiens, le ténor négocie la ligne contournée de « Tra speranze » et les coloratures de « Torrente cresciuto ». Ces arias figurent parmi les huit inédits de l’album, que l’on découvre avec intérêt. « Se dalle stelle » (de la toute première Didone abbandonata) ou encore « La speme ti consoli » suggèrent que le ténor est à son meilleur dans le demi-caractère.
Dommage aussi que les micros laissent souvent l’orchestre en retrait, floutant notamment les harmoniques graves : l’ensemble sonne « petit ». Le talent des instrumentistes n’est pas en cause, et Il Groviglio brille particulièrement dans les pages plus intimistes (« Cessa tiranno amor ») ou les trois brèves sinfonie de Haendel. À la tête d’une grosse douzaine de cordes et vents, Stéphane Fuget a beaucoup de goût et un vrai point de vue (« Siam prossimi al porto » ou « La tiranna avversa sorte »).
Malgré les défauts, voici des artistes et un projet que l’on a envie de défendre. Sans doute des cantates ou airs moins impitoyables auraient-ils mieux souligné les promesses du ténor et de son ensemble. Quoi qu’il en soit, on attendra leur prochaine initiative avec curiosité.