Difficile de retracer l’histoire de l’Opéra-Comique à travers ses costumes, et pour plusieurs raisons. On le sait, le bâtiment a brûlé plusieurs fois, d’où la raréfaction extrême des pièces antérieures au milieu du XIXe siècle. Dans l’exposition que le Centre national du costume de scène consacre à « L’Opéra-Comique et ses trésors », le plus ancien costume exposé date de la création de Carmen en 1875 : deux tenues de carabinier dessinées par le peintre de batailles Edouard Detaille. Par ailleurs, profitant de la création de la Réunion des théâtres lyriques nationaux entre 1939 et 1989, l’Opéra de Paris avait mis la main sur les plus belles pièces. La politique de réemploi rend encore plus complexe l’identification des costumes : tel kimono visiblement ancien fut porté dans Madame Butterfly par Geori Boué en 1945, puis par Berthe Monmart en 1960, mais remonte peut-être à un ballet d’Olivier Métra créé en 1879. Par ailleurs, la coutume voulant que les têtes de distribution possèdent leurs propres tenues de scène qui les accompagnaient partout entraîne la disparition des costumes des premiers rôles : impossible d’exposer la robe de Mary Garden en Mélisande, sauf à présenter sa version « reconstituée », c’est-à-dire revue et corrigée par les fifties pour le cinquantenaire de l’œuvre. Malgré tout, le CNCS de Moulins donne à voir quelques incunables : la tunique de velours brodé portée par Félix Vieuille à la création d’Ariane et Barbe-Bleue en 1907 ; le pantalon bouffant qu’arborait Jean Périer dans Mârouf en 1914, une robe Vélasquez qui habilla Lucy Arbell dans Don Quichotte en 1924… On y admire aussi quelques toilettes associées à des stars, comme le manteau porté par Germaine Lubin dans Pénélope – pour la reprise de l’œuvre à Garnier en 1943 – , la robe de Régine Crespin en Tosca.
On pourra regretter que la Renaissance baroque ne soit évoquée qu’à travers le costume du Sommeil dans Atys (celui de Cybèle figure dans la première salle, mais pour représenter l’Opéra). Le grand absent, c’est Gounod. Rien ici pour représenter Mireille ou Roméo et Juliette. Quant à Massenet, si l’exposition propose l’admirable robe lumineuse du Cendrillon de 2011 et une des tenues de Manon portées (à Bastille !) par Renée Fleming, on regrette l’absence d’Esclarmonde et surtout l’impasse presque incompréhensible sur Werther, pourtant un des piliers du répertoire de la Salle Favart jusque dans les années 1970. A l’inverse, cette exposition a l’intérêt de mettre en avant des compositeurs sombrés dans l’oubli, mais dont les œuvres ont eu la chance d’inspirer les costumiers. On pense surtout à Marcel Samuel-Rousseau (1882-1955), père de quatre opéras privilégiant l’exotisme du temps ou de l’espace ; la Salle Favart programma trois d’entre eux, reprenant en 1933 son Tarass Boulba créé en 1919 au Vaudeville, et créant en 1927 son Bon Roi Dagobert et surtout, en 1933, Le Hulla, aux costumes d’un orientalisme somptueux.
Pour le volume qui accompagne cette exposition, la mise en page privilégie les photos en grand format : il a donc fallu faire des choix, d’où un certains nombres de costumes non illustrés, notamment celui de la Mère Supérieure des Mousquetaires au couvent qu’on pourra voir en juin. Le livre ayant été conçu bien en amont, on ne trouvera évidemment pas non plus d’images des différentes vitrines de l’exposition, agencées par Macha Makeïeff : raison supplémentaire de se rendre à Moulins, même si le catalogue respecte le regroupement autour de huit thèmes et de huit héroïnes d’opéra-comique. Une série de textes évoque d’abord les trois siècles d’histoire de l’institution, à travers la figure emblématique de Justine Favart, pionnière du costume « authentique », ou grâce aux indications fournies par les archives. Autour de Célestine Galli-Marié, première Carmen, Hervé Lacombe propose une version plus développée des pages qu’il lui consacrait dans son livre La Habenera de Carmen, Naissance d’un tube. Curieusement, l’article consacré à Albert Carré, directeur de l’Opéra-Comique, ne prend en compte que les premières années qu’il passa à la tête de la Salle Favart, où il revint pourtant de 1918 à 1925, et même au-delà en tant que conseiller technique. On appréciera les pages décrivant le travail du Central Costumes et celles qui se penchent sur cinq costumiers ayant travaillé durant les « années Deschamps », qui sont naturellement au cœur de l’exposition comme de ce livre.