Les Pêcheurs de perles est un opéra des plus complexes à appréhender : avec son exotisme conventionnel et une intrigue peu crédible, sa partition est relativement méprisée depuis sa création en 1863, bien qu’elle contienne quelques « tubes » de l’art lyrique – la romance de Nadir « Je crois entendre encore » et le duo « Au fond du temple saint » en tête. L’ouvrage requiert donc des chanteurs à la hauteur des attentes du public, et un orchestre qui maintienne éveillée l’attention de l’auditeur tout au long de l’œuvre.
Pour ce faire, Alexandre Bloch et son Orchestre National de Lille se sont entourés de quatre jeunes chanteurs français à la carrière en pleine expansion : Cyrille Dubois et Florian Sempey endossent les rôles de Nadir et Zurga, accompagnés de Julie Fuchs en Leïla et Luc Bertin-Hugault en Nourabad. Associés aux Cris de Paris, l’affiche est des plus alléchantes et propose une version récemment reconstituée de la partition originale, malheureusement perdue.
Les pêcheurs Zurga et Nadir convainquent d’emblée, et on apprécie la réunion de deux voix si différentes l’une de l’autre. Le timbre sombre et plein de Florian Sempey offre un Zurga autoritaire mais sans grandiloquence excessive. Ses aigus chantés à pleine voix (même le sol dièse d’« Une fille inconnue » !) dessinent un personnage vif et brut qui ne perd jamais en intensité. A l’inverse, Cyrille Dubois possède une voix des plus claires et légères (bien que parfois un peu nasale), vibrante, presque fragile, où la ligne est impeccable et les aigus d’une facilité évidente. Le personnage alterne avec finesse nostalgie (dans un « Je crois entendre encore » presque désincarné), déclarations d’amour déchirantes et violence soudaine. Les deux chanteurs nous offrent un formidable « Au fond du temple saint », moment suspendu qui ne tombe jamais dans la tentation du fortissimo mais lui préfère l’intimité et l’intensité.
A ce duo masculin vient se joindre Julie Fuchs en Leïla, objet de l’amour des deux hommes. La voix de la soprano apparaît inhabituellement corsée et large ; ce n’est que dans l’aigu et les vocalises qu’on retrouve la légèreté et la précision de son timbre. Elle propose une héroïne pleine de poésie voire de fragilité, un peu hors du monde, tout en maîtrisant les exigences de la partition. On apprécie particulièrement les retrouvailles de Leïla et Nadir à l’acte II, où les chanteurs se révèlent à l’écoute l’un de l’autre dans un unisson idéal.
Le Nourabad de Luc Bertin-Hugault déçoit un peu. La tessiture tendue ne lui permet pas de donner au rôle l’autorité nécessaire, et il reste un peu en retrait de ses collègues.
La grande qualité de tous les chanteurs reste une diction parfaitement intelligible, si rare, et pourtant si nécessaire au disque ! Le chœur se révèle lui aussi globalement compréhensible, et on apprécie la précision des Cris de Paris, qui privilégient la clarté du texte et l’équilibre des voix.
Mais les grands héros de cet enregistrement sont sans conteste Alexandre Bloch et l’Orchestre National de Lille. Tout en étant à l’écoute des chanteurs, ce sont eux qui racontent le mieux cette histoire, avec de superbes effets de contrastes entre et à l’intérieur des scènes. Le chef fait confiance à la partition et s’en tient à l’écriture de Bizet sans chercher de grands effets dramatiques : la richesse de l’écriture, la beauté des solos et les jeux de spatialisation suffisent à rendre toute l’intensité de l’œuvre.
Voilà donc un disque qui ne souffre pas de l’absence d’image. Le drame se joue ici dans les relations entre les personnages et passe outre les faiblesses du livret. Une perle !