Le chant français vit décidément de beaux moments. La mezzo-soprano franc-comtoise Héloïse Mas a indéniablement progressé depuis qu’elle a fait partie des Révélations Talents Classiques 2014 de l’Adami. On devine que la crise sanitaire est venue donner un coup de frein à une carrière en plein essor, comme c’est le cas de tant d’autres jeunes artistes.
La voici dans un premier récital au disque axé sur Haendel. Passons sur une traduction française souvent médiocre et sur un « concept » peu convaincant célébrant la force expressive (anachronique, forcément) du Saxon, ses portraits féminins et la figure de la chanteuse au XVIIIe… Fi : en pratique, le programme mêle personnages masculins et féminins, créés par des hommes ou des femmes, et n’est ni plus ni moins qu’un florilège d’airs haendéliens ; et pourquoi pas. On comprend mieux l’angle proposé en découvrant la série historico-fantastique teintée de steampunk (oui, oui) que l’album vient illustrer, qui permet à Héloïse Mas de jouer les aventurières. Ce projet porté par In Matters of the Heart ambitionne de toucher un public élargi.
Quoi qu’il en soit, le choix de Haendel, favori des studios d’enregistrement, expose à rude concurrence. Au rayon des mezzos qui enregistrent du baroque, il faut désormais se faire un nom entre Desandre, Bridelli, Zaïcik, Lindsey… sans même parler de Bartoli ou Hallenberg. Ce qu’offre Mas, c’est un organe plus ample que ses concurrentes. Aux micros de RCF Lyon, elle confiait ainsi « Haendel, ça peut se chanter avec une voix pleine, une voix un peu plus large » : on ne saurait la contredire ! Et cela s’entend avec plaisir dans ce disque, où cette voix homogène s’étale luxueusement sur un long ambitus, embrassant vaillamment des tessitures sopranisantes (Alcina notamment) comme le contralto de Dardano. Un timbre vibrant, au pathos naturel, qui se déguste comme un vin rouge avec ce qu’il faut de tanins, de rondeur et de fruité.
Cette pâte vocale appréciable se double d’un engagement constant. On devine qu’il ne s’agit pas d’une virtuose-née, mais elle se tire fort bien de pages aussi exigeantes qu’« Un pensiero nemico di pace » et les éclats de Medea ou Lucrezia, nonobstant quelques traces d’efforts. Ajoutons à cela des reprises ornées avec originalité et goût.
Ce disque n’est pourtant pas pleinement réussi : aligner quatre longues plaintes est maladroit et expose les limites expressives des interprètes. Déjanire, Orphée, Alcine et Dardanus finissent pas paraître uniformément hébétés, et les accents toniques gagneraient à être soulignés pour mettre le texte en valeur. Avec le temps, Mas habillera peut-être son beau chant d’un verbe plus aiguisé, affinant ses portraits. Typiquement Anglo-Saxon, Laurence Cummings privilégie la mesure et l’élégance en évitant de traiter le London Handel Orchestra comme une percussion ou une guitare, sans les brusqueries d’une certaine mode. Accompagnateur sensible, il empêche néanmoins certaines pages de flamboyer à l’unisson de la mezzo.
La Sapho de Gounod avait enthousiasmé Dominique Joucken et valu à la mezzo-soprano un cinquième prix au concours de la Reine Élisabeth en 2018. Surprise finale : jetant un pont entre le baroque et le répertoire du XIXe siècle qui semble lui convenir naturellement, Mas reprend ainsi « Ô ma lyre immortelle » dans une plage cachée. La réduction pour ensemble baroque ne fait pas long feu, mais l’impact vocal est indéniable dans ce qui semble le répertoire d’élection de Mas – déjà une Carmen. Que cela ne l’empêche pas de chanter Haendel ou Vivaldi : pourquoi pas Agrippina où les rôles de la Girò ?