En énumérant les grandes sopranos du XXe siècle, qui, de notre coté du Rhin ou de la Sarine, citerait spontanément Agnes Giebel ? Probablement personne. La raison de cet oubli est simple : la chanteuse ne mit jamais les pieds sur une scène d’opéra et n’en a même jamais rêvé – elle a d’ailleurs refusé des propositions émanant de Klemperer, Markevitch et Wieland Wagner ! Quoique de nationalité allemande, elle naît en 1921 à Heerlen, dans le Limbourg néerlandais, sous le patronyme d’Agnes Reichert. Le nom de Giebel est celui de son premier mari, Hans, soldat allemand tué en Russie moins de 2 ans après leur union. Après la guerre, la jeune veuve reprend ses études de chant à la Folkwang Schule (sur le site d’Essen) et commence à se produire en public. Les années 1950 marquent le début d’un carrière qui démarre véritablement avec le bicentenaire de la mort de Bach. Le Kantor de Leipzig restera d’ailleurs le compositeur de prédilection de Giebel qui, au cours des décennies, le chantera aussi bien sous la direction de Karl Richter qu’avec Gustav Leonhardt. En 1954, elle épouse en secondes noces Herbert Kanders. Jusqu’à sa mort, en 1980, celui-ci lui servira d’agent, de conseiller ou encore de répétiteur. Les années 1960-1970 marquent le point culminant de la carrière de Giebel qui se produit sous la direction des plus grands (Keilberth, Kubelik, Scherchen, Muti, Markevitch, Maazel, Jochum, Celibidache, entre autres). Elle se fait également connaître comme une excellente interprète de Lieder, fidèlement accompagnée par Sebastian Peschko (1909-1987) et se distingue dans la musique du XXe siècle (Schoenberg, Berg, Hindemith, Henze, etc.). La chanteuse sillonne les salles de concerts du monde entier tout en privilégiant les scènes d’Allemagne et de Suisse alémanique (Zürich et Bâle). La suite de son parcours n’est qu’un lent déclin vocal jusqu’aux années 1980, qui la voient arrêter les concerts presque complètement.
La biographie que Michael Kurtz consacre à Giebel s’adresse tout d’abord aux fans de la chanteuse ou à ceux qui, au détour d’un enregistrement, voudraient en savoir plus que ce que les succinctes notices biographiques glanées dans les dictionnaires spécialisés ou sur Internet permettent d’apprendre. Dans un style clair mais pas toujours agréable (1) (et émaillé de coquilles…), l’auteur fait preuve d’un manque criant de recul. Ayant rencontré Giebel à de nombreuses reprises, Kurtz laisse une place très importante aux propos de la chanteuse elle-même. On ne peut s’empêcher de remarquer qu’elle fait preuve d’une mémoire si exceptionnelle que cela en devient parfois suspect – le musicographe aura peut-être ajouté quelques précisions (dates, lieux) sans les distinguer du reste des propos de la soprano. Mais tant qu’à laisser une place si envahissante à l’interview, pourquoi ne pas faire un véritable livre d’entretien, quitte à y ajouter un important appareil de note ou une conséquente introduction biographique ? Pour le reste, l’auteur se borne à quelques témoignages de proches ou de collègues recueillis par téléphone ou E-mail et d’une poignée (bien insuffisante) d’extraits de presse qui ne donne pas l’impression d’une recherche particulièrement fouillée –les nombreuses photos proviennent presque exclusivement des archives personnelles de la soprano. Kurtz reprend tout de même la discographie exhaustive de Giebel (axée autour de Bach et de Mozart, dont elle enregistra tout de même quelques opéras dont Die Zauberflöte dirigée par Klemperer –EMI) et les productions radios auxquelles elle participa en Allemagne –il aurait peut-être été possible de retrouver dans ces archives radiophoniques quelques enregistrements inédits qui, sous la forme d’un disque, auraient constitué un complément intéressant. Ce livre le mérite non négligeable de rappeler à notre bon souvenir une grande artiste trop oubliée mais n’est malheureusement pas un modèle du genre.
Nicolas Derny
(1) Sans (presque) jamais trouver d’autres moyens de la désigner, il répète inlassablement –et d’un bloc monolithique – « Agnes Giebel » quasiment dans chaque phrase. Exaspérant au bout de quelques pages…