Le DVD de cette Incoronazzione di Poppea remarquée lors des représentations dijonnaises et lilloises, vient s’ajouter aux multiples propositions déjà existantes. Entre la version revue, corrigée, amputée de Raymond Leppard à Glyndebourne, dont on ne retiendra que la Poppée de Maria Ewing, et cette dernière, on doit en compter une bonne demi-douzaine. L’œuvre paraît incontournable, et presque tous les grands baroqueux (dont René Jacobs, Minkowski, Christie) s’y sont frottés.
Nous ne connaissons pas la partition originale : deux sources sensiblement différentes, Venise et Naples, proposent deux réductions – à 3 et à 4 parties – à partir de laquelle l’instrumentation et la réalisation de la basse continue sont des hypothèses. De surcroît, les incertitudes nombreuses sur l’authenticité de tel ou tel passage autorisent bien des variantes, des coupures éventuelles en fonction des conceptions esthétiques et dramatiques. Même si la belle édition d’Alan Curtis semble faire autorité depuis 1989, Emmanuelle Haïm et ses collaborateurs se sont fondés sur les sources anciennes et ont réalisé leur propre version.
La directrice musicale du Concert d’Astrée est vraiment dans son emploi et déploie ici ses rares qualités : impossible d’émettre la moindre réserve quant à ses options, différentes de celles qu’elles avait retenues pour Glyndebourne (ouverture de Naples, par exemple), ni à sa réalisation, ni à sa direction. Il sera difficile de mieux faire.
Un Concert d’Astrée en pleine forme : dynamique ou infiniment retenu, le discours est exemplaire. Les ritournelles sont de petits bijoux, où les cordes s’en donnent à cœur joie et où étincellent les flûtes ou le cornet. Le continuo, habilement coloré, souligne le fil dramatique. Les bruitages s’imposaient-ils ? Les vagues introduisant la mort de Seneca, peut-être… Leur utilité sinon reste douteuse. Quant au plateau, on retrouve avec un grand bonheur une Sonya Yoncheva en Poppea, sensuelle à souhait, à la voix ample, charnue, un Nerone en adéquation (Max Emanuel Cencic) dont le chant est un modèle de style, malgré une émission parfois tendue. On apprécie particulièrement Ann Hallenberg qui campe une émouvante Ottavia. Ottone (Tim Mead) et Drusilla (Amel Brahim-Djelloul, pathétique) méritent tous nos suffrages. Quant à Seneca, qui requiert des moyens peu communs – ainsi qu’un ambitus très large – Paul Whelan l’incarne avec justesse et grandeur naturelle. La noblesse de son chant et l’humilité de son jeu emportent l’adhésion.
La mise en scène de Jean-François Sivadier appelle en revanche de multiples réserves. Le prologue est desservi par une gesticulation gratuite des acteurs, sans relation aucune à l’action. Chercher des accessoires, boire, prendre la salle à témoin paraît déplacé, sinon ridicule. Le même procédé, en moins long, est repris pour l’acte II. Certainement une concession à un procédé d’une mode récente, maintenant éculée. L’outrance du duo d’amour de Nerone et Poppea est prosaïque et vulgaire. Pourquoi cette trivialité fréquente que le livret n’appelle pas ? C’est kitsch et exhibitionniste. Effet de mode, encore une fois ? Nerone n’est pas ce pantin lubrique et dévoyé que la mise en scène impose. Cette outrance est regrettable. Nerone, disciple de Seneca, est aussi le souverain généreux accordant sa grâce à Ottone et Drusilla. La subtilité, l’ambiguïté disparaissent au profit d’un parti-pris trop souvent grand-guignolesque. Vraiment dommage.
Car le spectacle réserve aux moins deux moments parfaitement réussis et inoubliables. La mort de Seneca, dans une lumière et des décors blancs, est conduite avec un ton juste. L’émotion contenue est permanente et l’auditeur fasciné oublie la longueur de la scène. L’autre moment est le finale, notammment le célèbre duo « Pur ti miro », qui, s’il n’ est pas de Monteverdi, n’en est pas moins une page magnifique. Après une intervention d’un narrateur qui rappelle les péripéties de l’histoire romaine, Nerone et Poppea s’avancent du fond de scène vers la salle, avec une grandeur proprement impériale. Leur chant ne l’est pas moins.