Heureux qui comme Olivier Rouvière a fait un long voyage sur les chemins de la pensée artistique. Parti de l’analyse intime d’ouvrages lyriques aimés – Les Contes d’Hoffmann, Macbeth, Rusalka, Don Giovanni… –, ce journaliste musical spécialisé en dramaturgie de l’opéra a exploré les arcanes du théâtre chanté puis, dans un mouvement centrifuge, le théâtre tout court. Un livre de 300 pages, publié chez L’Harmattan, vient raconter ce parcours intellectuel à rebours de son cheminement, c’est-à-dire en prenant comme point de départ l’étude de la forme théâtrale pour finalement aboutir à la dissection des opéras qui étaient à l’origine de la réflexion. L’objet de cette quête ? Le sens. L’intuition qui l’a guidée ? Le chant serait le premier des vecteurs sémantiques, avant la parole même.
Une fois le problème posé, il reste à mettre ses pas dans ceux de l’auteur, le suivre – on a envie d’écrire aveuglément tant on ignore parfois où ses propos veulent nous conduire – à travers l’inventaire des arts dits représentatifs pour ensuite aborder le rivage plus familier de l’opéra. Là, tout en restant focalisée sur son objet premier – la quête de sens –, la démonstration s’éparpille à travers une somme de considérations savantes même si parfois discutables (nous ne sommes pas certain, au contraire d’Olivier Rouvière, que l’élitisme de l’opéra soit à mettre sur le compte d’une « douloureuse culpabilité » que l’on éprouverait au contact de sa beauté). C’est dans cette deuxième partie que l’on apprend le plus de choses, que l’on met à l’épreuve ses propres intuitions, que l’on bouscule ses certitudes, que l’on élargit son point de vue en le confrontant à différentes affirmations autour de la vocalise, du cri ou encore du « principe de dissociation de l’opéra baroque », jusqu’à ce que survienne l’idée majeure, celle qui donne son titre au livre : « l’art lyrique est la forme d’art où s’exprime avec la plus grande clarté la volonté d’apparition – apparition à soi-même, apparition de l’autre (l’acteur, le personnage, le fantasme), apparition de l’ailleurs ».
Six ouvrages lyriques illustrent ensuite par l’exemple la démonstration, bien que l’étude en dépasse l’objet pour proposer un véritable décryptage dramaturgique de l’opéra considéré. Il y a tant à dire et Olivier Rouvière se laisse emporter par le foisonnement de ses idées. Là est sans doute l’écueil d’une démarche à rebours, ces textes n’ayant pas été écrits à la base pour servir le raisonnement liminaire.
Ainsi, le secret de l’opéra, la raison pour laquelle il exerce aujourd’hui encore la même fascination résiderait – si nous avons bien compris – dans cette recherche de l’ailleurs, de « notre ombre, notre négatif, notre non-dit ». « Je est un autre » disait Rimbaud et l’art lyrique nous aiderait à le rencontrer. Se non è vero è bene trovato.