On pourrait s’en étonner, mais il n’existait jusqu’ici aucun DVD de La Wally. Le chef-d’œuvre de Catalani est pourtant une œuvre admirable, une partition éminemment respectable dont on regrette qu’elle soit très rarement jouée en France (l’a-t-elle-même jamais été ?). A Genève, la saison dernière s’est achevée sur une série de représentations de cet opéra pré-puccinien, mais c’est l’exception qui confirme la règle. Certes, on connaît depuis Diva le fameux air « Ebben, ne andrò lontana », que toutes les sopranos ont eu à cœur d’interpréter, mais même les intégrales de studio ne se bousculent pas : une version Tebaldi-Del Monaco (1969), et une gravure plus récente, avec Eva Marton et Francisco Araiza. Et il existe deux live, l’un avec Tebaldi déjà (1960), l’autre avec Magda Olivero (1972).
C’est d’Innsbruck que provient la captation aujourd’hui publiée par Capriccio, c’est-à-dire de la région même où se déroule l’action de La Wally. Bien sûr, les moyens dont dispose le Tiroler Landestheater ne sont pas comparables avec ceux des grandes scènes internationales : cela s’entend, on y reviendra, mais cela ne se voit pas. La production montée par Johannes Reitmeier, directeur de ladite institution surmonte habilement les obstacles liés au livret montagnard (le troisième acte se déroule en partie sur un glacier), avec l’aide d’un décor à transformation qui se métamorphose d’une scène à l’autre, jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il s’agit tout simplement d’une tournette dont le spectacle use et abuse en deuxième partie. Seule bizarrerie : la présence de quatre ou cinq figurants déguisés en yétis, ces esprits que l’héroïne croit voir dans son délire final, mais qui jouent ici les machinistes plus comiques qu’effrayants. Si les costumes de Michael D. Zimmermann jouent le jeu – paysannerie vers 1900 au premier acte, tenues traditionnelles pour la suite – le décor opte pour une stylisation quasi inévitable. Hélas, aucun des trois principaux protagonistes n’a exactement le physique de l’emploi, ce qu’on leur pardonnerait plus volontiers s’ils en avaient tout à fait la voix.
Susanna von der Burg affronte crânement les exigences du rôle-titre. Habituée aux partitions sans pitié pour la voix – son répertoire inclut l’Abigaille de Nabucco, Senta ou Marie de Wozzeck –, cette soprano viennoise semble d’abord plus à l’aise dans le médium et dans le grave, avec un aigu moins généreux qu’on ne le voudrait, mais elle se chauffe au fil de la représentation et convainc en jeune sauvageonne en pantalon métamorphosée en riche propriétaire. Le ténor portugais Paulo Ferreira a sans doute beaucoup écouté Placido Domingo, dont il cherche à reproduire les accents fiévreux, mais l’imitation ne fonctionne que jusqu’à un certain point, car l’aigu a tendance à s’étrangler et les notes les plus hautes sont glapies plutôt que véritablement articulées. Son malheureux rival Gellner ne ressemble guère plus à un jeune premier, et Bernd Valentin connaît lui aussi des difficultés dans l’aigu, frôlant l’accident à plusieurs reprises. Autour d’eux, les personnages secondaires tirent plutôt bien leur épingle du jeu. Malgré un italien fort peu idiomatique, Susanne Langbein est un touchant Walter, auquel elle prête une voix d’enfant (la mise en scène se donne beaucoup de mal pour rendre moins nunuche ce jeune personnage travesti). Kristina Cosumano est très bien en Afra, et Marc Kugel fait valoir une belle voix de basse dans son rôle de père. L’orchestre et les chœurs dirigés par Alexander Rumpf, chef principal de la maison, font honneur au théâtre d’Innsbruck. Dommage que La Wally exige des chanteurs de tout premier plan pour s’épanouir pleinement.