Si, comme l’affirme Zsolt Harsànyi dans son célèbre ouvrage « La vie de Liszt est un roman », celle de son gendre, Richard Wagner ne l’est pas moins. Aventurier, révolutionnaire, homme à femmes, favori du roi de Bavière, poète, essayiste et compositeur de génie, le père des Nibelungen offre, en soixante-dix années d’une existence bien remplie, suffisamment de matière pour devenir le héros d’un genre qui, dans sa forme originelle, ne voulait rien d‘autre que conter des histoires fabuleuses ou des amours merveilleux. Citons pour preuve Le Roman de Renart ou Le Roman de Tristan. Tristan, d’ailleurs, semble être le paradigme que s’est imposé Wagner amoureux. C’est dire la tournure que peuvent prendre les expériences sentimentales du jeune – et du moins jeune – Richard. Les examiner cliniquement, à la manière d’un thésard, revient souvent à mal les interpréter. Par exemple, Mathilde Wesendonck, que la postérité a drapée dans le pallium de muse, ne fut sans doute qu’un objet de cristallisation, un vecteur nécessaire au créateur pour expérimenter la passion à laquelle il avait entrepris de soumettre ses créatures. S’il faut un modèle à Isolde, il a au choix les traits de Cosima von Bülow, qui assista fébrile à la création de l’opéra à Munich, ou ceux de Minna, la première épouse, qui ne voulait rien d’autre, en épousant Wagner, que s’acheter une conduite et s’assurer un train de vie bourgeois. Autant dire qu’elle n’avait pas misé sur le bon cheval.
Puis, alors que tout a été écrit, sur l’homme comme sur l’artiste, quel meilleur chemin emprunter pour leur rendre hommage que celui de la fiction ? Lorsque toutes les œuvres ont été étudiées, tous les leitmotivs disséqués, la pensée démembrée dans ses replis les plus obscurs – cet antisémitisme qui est le premier chef d’accusation des contempteurs –, ne faut-il pas que l’histoire devienne légende ? Ne faut-il pas que le récit se pare de couleurs inédites pour, s’écartant de la réalité, nous donner à mieux la comprendre ? Encore faut-il, pour parvenir à transmuter les faits sans les dénaturer, trouver le bon aède. Vincent Borel, critique musical et – on le sait moins – romancier, est l’un des rares à posséder la double compétence. Son Richard W. n’est pas une biographie romancée comme il en existe des centaines. La structure de l’ouvrage, faite de travellings dont le cinéma ferait son miel, sait éviter l’ennui de la chronologie, tout en respectant les règles de la narration. Le style flamboie, non à la manière de ces feux emphatiques qui à force d’excès dénaturent le propos, mais en usant de rhétorique et de figures. La pulsation de l’écriture capte et retient l’attention. Qu’importe les événements qui balisent le destin exceptionnel du Wotan de l’opéra, ils sont déjà connus. Seule compte la proposition alternative à ce regard réprobateur qu’a posé la postérité sur Wagner. Prime alors l’art du portrait – Richard mais aussi Minna, Cosima, Bakounine, Louis II, Nietzche… – que dessine une plume inspirée, ces tableaux qui ne sont pas photographies et qui pourtant, à la manière des toiles de Lucian Freud, nous en disent davantage sur leur sujet que le plus fidèle des clichés. Tout comme ce roman répand davantage l’ivresse wagnérienne que bien des ouvrages laudatifs édités en ces temps commémoratifs.