Thèse : Thomas Larcher (né à Innsbruck en 1963) pratique le piano durant son enfance, puis l’étudie à Vienne en parallèle avec la composition. Héritier de la pensée moderniste, il refuse, en tant que compositeur, d’utiliser cet instrument d’une façon traditionnelle, qu’il associe « de plus en plus étroitement à une sensation d’usure totale, d’obsolescence, de fin de parcours » (« l’instrument était mort, tombé hors du cadre de l’évolution de la musique »). Il cherche à en dépasser la sonorité « naturelle » en ne recourant qu’au piano préparé (pratique tout aussi datée qu’elle est devenue conventionnelle). Dans Smart Dust (« poussière intelligente »), la préparation comprend des gommes et du gaffer (ruban adhésif). Le timbre du piano est différemment altéré, tantôt évoquant un xylophone ou un violoncelle, tantôt restant quasiment intact, tandis que son potentiel percussif (par la durée réduite de la résonance) explose. Les poussières intelligentes, « réseau de minuscules capteurs micro-électromécaniques sans fil », discrètes et éparses, se font de plus en plus envahissantes et vindicatives voire menaçantes, image d’un futur épris de technologie dont l’être humain perdrait la maîtrise.
Antithèse : Avec Poems, recueil de souvenirs personnels et de leur intime ressenti, Larcher redécouvre la sonorité naturelle du piano, celle-là même qu’il avait fuit avec véhémence. Il se rallie aux défenseurs du « less is more » et propose une suite de pièces épurées et consensuelles, entre allégresse juvénile et langueur méditative. On y croise Michael Nyman, Henryk Górecki, Alexandre Desplat et Béla Bartók (dans « MUI 1 », poème musicalement le plus audacieux). Le plein existe au travers du vide, chaque son, parfois réduit à une note, jaillissant du silence, comme suspendu au-dessus de nos têtes (le magnifique « One, two, three, four, nine », dont quelques sonorités plus sèches rappellent le piano préparé). Avec « Cantabile » et « When I lost my funny green dog », Larcher ne peut malheureusement éviter l’écueil de la mièvrerie. Le caractère de chaque pièce est remarquablement souligné par le jeu de Tamara Stefanovich.
Synthèse : What becomes fut composé pour le pianiste Leif Ove Andsnes (qui en assura la création en novembre 2009 au Alice Tully Hall dans le cadre de son projet « Pictures Reframed », récital de piano sur fond de vidéos réalisées par l’artiste sud-africain Robin Rhode) à la condition que cette œuvre puisse « s’intégrer à un programme de récital « normal » – objectif qui fut apparemment atteint, bien que la contrainte semble avoir entravé le travail du compositeur. Si cette oeuvre se situe musicalement dans le prolongement des Poems, elle est d’une nature plus âpre et d’un contenu plus dense et varié. L’influence des Tableaux d’une exposition de Moussorgsky, au cœur du programme de « Pictures Reframed », est palpable, certes plus dans l’esprit que dans la lettre, alors que celle de Rachmaninov est assumée dans le puissant « Scherzo ». Le Padmore Cycle pour ténor et piano, composé sur des courts poèmes redevables à deux amis du compositeur, Hans Aschenwald et Alois Hotschnig, esquissent l’écrin montagneux du Tyrol dans lequel Larcher a grandi. L’écriture elliptique et suggestive des textes inspire des lieder modérément expressionnistes, dans lesquels le piano ponctue et commente le verbe, sorte de rêverie musicale. Mark Padmore s’y abandonne, parfois jusqu’à la fragilité et une forme de disgrâce. A ce cycle qui lui est dédié, il fait incontestablement un grand honneur : l’immense maîtrise technique de sa voix (notamment de sa voix de tête, abondamment utilisée) et de ce répertoire force l’admiration tant elle regorge de musicalité et d’expressivité.