Grâce au bicentenaire Verdi, et à l’intégrale entreprise par C Major, certains opéras du maître de Busseto vont enfin connaître leur première au DVD. Ce n’est pas tout à fait le cas de La Battaglia di Legnano, mais on ne disposait jusqu’à présent que d’une version, captée en 2006 au Teatro Massimo Bellini de Catane, avec notamment Elisabete Matos dans le rôle de Lida, dirigée par Nello Santi. Autrement dit, il y avait tout à fait place pour une intégrale concurrente. Hélas, ce n’est pas la mise en scène de Ruggero Cappuccio qui parviendra à retenir l’attention : comme on le comprend au rideau final, l’idée directrice est que cet opéra serait une de ces tableaux guerriers dont la peinture académique du XIXe siècle était friande, ce qui revient à faire de Verdi un peintre de bataille de la trempe de Meissonnier. Remonter aujourd’hui La Battaglia di Legnano, c’est un peu comme restaurer une toile ancienne, et cette production nous transporte dans les réserves d’un musée où s’accumulent quelques-uns des chefs-d’œuvre que la guerre a inspiré à l’art occidental, de la Bataille d’Anghiari de Léonard de Vinci à La Grèce à Missolonghi de Delacroix, en passant par la Reddition de Breda de Velasquez. Quelques figurants munis de pinceaux retouchent ces toiles (ou ces sculptures, puisqu’un crucifix subit aussi ce nettoyage, au troisième acte). Ça ne mange pas de pain, mais ça n’apporte strictement rien à notre compréhension de l’œuvre, et les chanteurs viennent se planter devant ces toiles de fond sans qu’il se passe vraiment grand-chose. Les costumes mélangent allègrement les époques, avec un chœur en imperméables résolument ancrés dans la deuxième moitié du XXe siècle, les chevaliers qui semblent sortis des troupes de Garibaldi et une héroïne qu’on prendrait pour Luisa Tetrazzini donnant un concert vers 1910.
Vocalement, les plus grandes satisfactions viennent du titulaire du rôle qui semble aussi avoir le plus inspiré le compositeur : avec Rolando, Verdi s’élève au-dessus du reste de sa partition pour anticiper sur les grands personnages de baryton qu’il allait créer au cours des années suivantes. Par chance, Leonardo López Linares s’avère le membre le plus convaincant de la distribution réunie à Trieste, avec des couleurs chaudes et une diction mordante. Pilier de l’intégrale C Major (elle est aussi Abigaille de Nabucco, Giselda d’I Lombardi et Leonora de La Force du destin), Dimitra Theodossiou est une chanteuse émouvante et courageuse, à qui les exigences verdiennes ne font pas peur. L’extrême aigu a sans doute été fragilisé par l’abus de rôles périlleux, mais la voix est belle. Dommage que l’absence totale de direction d’acteurs la cantonne à des poses certes élégantes mais terriblement convenues, pour un personage que la partition borne aux accents élégiaques. Le ténor américain Andrew Richards s’est illustré à Paris en Don José, ailleurs en Cavaradossi : sa voix parvient à se plier aux exigences du premier Verdi, mais son chant, surtout dans l’aigu, a quelque chose de fabriqué, d’aussi contraint que le pantalon moulant dans lequel est sanglée sa silhouette juvénile. Cela dit, qui pourrait égaler Corelli, modèle de générosité vocale Arrigo à la Scala en 1961 ? L’orchestre ne sonne pas toujours très glorieux quand on l’entend à nu dans l’ouverture, alors que les chœurs assurent fièrement les nombreux passages a capella que leur réserve la partition. En résumé, une version musicalement satisfaisante, mais sur le plan visuel, un DVD pour rien.