Arrivée dans le cœur des mélomanes par la musique baroque, à l’instar de beaucoup de ses consœurs françaises, Sandrine Piau s’est ensuite illustrée chez Offenbach ou chez Mozart, sans avoir dû pour autant renoncer définitivement à ses premières amours : avec Frederico Maria Sardelli et Jean-Christophe Spinosi, elle a même élargi son exploration du baroque en chantant du Vivaldi. Cet album ne sonne donc pas un quelconque retour aux sources, mais bel et bien un approfondissement supplémentaire d’un genre qu’elle n’a jamais vraiment délaissé. Haendel, cependant, occasionne ces temps-ci pléthore de récitals, ce qui n’est pas pour faciliter la tâche des chanteurs même les plus aguerris. Réunir le bouquet d’airs sélectionnés autour d’une problématique précise devient alors un passage obligé, un exercice de style appliqué parfois avec bonheur (on se souvient du beau concert donné par Lawrence Zazzo le mois dernier au TCE), parfois de manière plus artificielle. Ici, on ne peut se défaire de l’impression que le thème du disque (« between heaven and earth », entre la « pureté » des « voix du ciel » et « celles de notre cœur », subordonnées au « temps », comme l’écrit Sandrine Piau dans le livret) est un prétexte un peu commode pour enregistrer la plus grande variété d’airs possible. S’en remettre constamment à des récitals thématiques implique naturellement cet écueil qui consiste à préférer plaquer à tout prix une idée directrice, au lieu de revendiquer les charmes que peut revêtir la simple collection affective.
Ecoutons donc plutôt ce qui est chanté, et lisons moins ce qui est écrit : les pages au programme, qui s’échelonnent des années de jeunesse en Italie à la maturité en Angleterre, font la part belle soit au lyrisme, soit à la virtuosité du chanteur. Sandrine Piau a préféré ne pas mettre trop l’accent sur cette dernière, et nous lui en savons gré, pour deux raisons : tout d’abord parce qu’une série ininterrompue de vocalises et de trilles peut s’avérer lassante ; ensuite parce que ce n’est pas dans cet Haendel-là que notre chanteuse s’épanouit le mieux. Techniquement, bien sûr, Piau réalise un travail très accompli. Cependant, en dépit de la qualité de l’exécution, sa voix ne rentre pas spontanément dans ce type d’écriture, et pour rajouter à la virtuosité l’expressivité, il lui faut, par moment, consentir à bousculer un peu la ligne de chant. On perçoit cette limite dès « Disserratevi, o porte d’Averno », où l’égalité des registres est menacée par l’ambitus crucifiant de cette page. Nous la retrouvons également quelque peu précautionneuse dans les passages les plus vifs des « prophetic raptures » de Joseph and his brethren.
Heureusement, la plupart des airs correspondent mieux à la personnalité et à la voix de Sandrine Piau. Les extraits de Theodora (« With darkness deep as my woe », d’Alexander Balus (« O take me from this hateful light ») et du Trionfo del Tempo e del Disinganno (« Tu del Ciel ministro eletto ») mettent en valeur toutes les qualités d’un chant soutenu, attentif au texte d’une infinie précision dans sa maîtrise du vibrato et du legato. Et en cadeau, une rencontre au sommet : Topi Lehtipuu lui donne la réplique dans un « As steals the morn upon the night » (l’Allegro, il penseroso ed il moderato) de rêve, où les voix semblent se dire à chaque instant qu’elles sont faites l’une pour l’autre. Prestement accompagné par l’Academia Bizantina (sans Ottavio Dantone, mais avec Stefano Montanari), la magie opère !
Clément Taillia