Natif du Tyrol, de père napolitain et de mère autrichienne, Sylvio Lazzari (1857-1944) fut pourtant bien un compositeur français, d’abord parce que ce, installé à Paris à l’âge de 25 ans obtint la nationalité française en 1896, et parce qu’encouragé par Gounod et Chausson, il fit ses études auprès de César Franck et de Guiraud. Trois de ses cinq opéras, composés entre 1889 et 1925, sont situés en Bretagne, et son style est typique du wagnérisme français de son temps. Celui qui est considéré comme son chef-d’œuvre, La Lépreuse, terminé en 1901 (et donc avant la création de Pelléas), fut aussitôt « reçu » par Albert Carré, mais le directeur de l’Opéra-Comique exigea d’abord un changement de titre, puis invoqua ensuite divers prétextes pour en différer la création, si bien que l’œuvre ne fut finalement montée qu’en 1912.
Du wagnérisme, oui, mais sans tout l’attirail chevaleresque cher à Vincent d’Indy, veine à laquelle Lazzari avait déjà sacrifié avec Armor, son tout premier opéra. Par son intrigue située dans une vague Bretagne médiévale, qui mêle symbolisme et mysticisme, La Lépreuse serait plus proche de Maeterlinck. Le livret est une œuvre de jeunesse d’Henry Bataille (1872-1922), dramaturge à succès dans les deux premières décennies du XXe siècle (Lazzari a également mis en musique plusieurs de ses poèmes, qu’il y aurait urgence à redécouvrir, tant ses qualités de mélodiste ont été vantées par d’éminents musicologues).
Quand La Lépreuse vit enfin le jour en scène, l’Opéra-Comique avait réuni quelques-uns de ses meilleurs chanteurs : Marguerite Carré en Aliette, Léon Beyle en Ervoanik et Marie Delna en Vieille Tilli. Qu’en est-il du concert proposé par la RTF en 1957 ? Jean Giraudeau, qu’on a connu ailleurs entaché d’une gouaille parigote un peu trop marquée, se montre ici assez exemplaire : par l’importance du rôle d’Ervoanik, le titre L’Ensorcelé, un temps envisagé, aurait été assez justifié. Même si son nom ne nous dit aujourd’hui plus grand-chose, Jeanne Ségala se produisit à l’Opéra de Paris de 1940 à 1960, où elle fut notamment Desdémone aux côtés de l’Othello de Georges Thill ; à Garnier, où on lui confia aussi Aïda, Eva des Maîtres chanteurs ou Thaïs, entre autres. Le rôle d’Aliette est néanmoins assez bref : l’héroïne n’apparaît qu’au milieu du premier acte et, au dernier, on entend seulement sa voix venant des coulisses. Quant à la Vieille Tilli, sa mère, elle n’est présente qu’au deuxième acte. Dans les années 1940, Suzanne Darbans fut également membre de la troupe de l’Opéra de Paris et de l’Opéra-Comique, où elle chanta tous les grands rôles de mezzo (des enregistrements nous conservent son interprétation de Taven aux côtés de Martha Angelici ou d’Andrée Esposito). Le reste de la distribution se compose d’autres piliers de la Salle Favart : Solange Michel, régulièrement Carmen avant que le chef-d’œuvre de Bizet ne soit « confisqué » par Garnier, ou Lucien Lovano, très souvent présent dans ces concerts radiodiffusés.
La Lépreuse manque peut-être un peu d’action : le rythme en est lent, les passions ne se déchaînent guère que vers la fin du deuxième acte, et le personnage de la vieille lépreuse qui cherche à communiquer sa maladie au maximum d’individus autour d’elle paraît un peu mélodramatique. On s’avouera donc bien plus séduit par le dramatisme irrésistible de La Tour de feu, ultime opéra de Lazzari, dont est offert en bonus un extrait, hélas coupé de manière particulièrement abrupte, mais d’une qualité de prise de son bien supérieure à la version de 1944 diffusée en intégrale par Malibran. L’orchestre rend ici parfaitement justice aux talents d’orchestrateur du compositeur, et la voix somptueuse de Micheline Grancher donne envie d’écouter tous les témoignages laissés par cette artiste. Jean Giraudeau est égal à lui-même, et l’on apprécie surtout l’intervention, hélas plus brève, de Jean Mollien. Il doit bien exister quelque part une bande conservant l’intégralité du concert et, s’il la détient, l’INA serait bien inspiré de la rendre accessible…