De ses parents – Franz Liszt et Marie d’Agoult – Cosima Wagner avait hérité un nez long et mince qui faisait ressembler son visage à un museau de lévrier ou de renard (hormis la photo de couverture, la biographie d’Oliver Hilmes n’inclut aucun iconographie, mais le faciès de la dame est assez connu par ailleurs). Du renard, Cosima avait la ruse, et du lévrier, le flair pour aller dénicher l’argent partout où il y en avait afin d’alimenter les caisses de Bayreuth. Si l’on y ajoute l’ambition, le caractère inflexible, voir tyrannique, ainsi que le culte du Maître et le masochisme qui la guidèrent dans l’éducation de ses enfants, on obtient un résultat assez terrifiant, qui justifierait à lui seul, si besoin était, la rédaction d’une biographie. Publié en Allemagne en 2007, c’est cinq ans après, grâce à l’approche du bicentenaire Wagner, que nous parvient l’ouvrage d’Oliver Hilmes. Déjà auteur d’une biographie d’Alma Mahler (2004), il a ensuite poursuivi dans la veine wagnérienne, avec un livre consacré aux descendants de Cosima, paru en 2009.
Les lecteurs français disposaient déjà d’une biographie de Cosima Wagner, puisqu’en 1996, Françoise Giroud avait publié une biographie intitulée Cosima la Sublime. Oliver Hilmes affirme dans son introduction que « Mme Giroud semble n’avoir jamais mis les pieds aux Archives Wagner », tant son approche du personnage restait superficielle. D’ailleurs, Cosima la peu reluisante aurait été un titre plus approprié, et il faut une bonne dose d’inconscience pour qualifier de « sublime » une personne capable d’exprimer des opinions passablement nauséeuses sur ce qu’elle appelait « tout l’Israël camouflé et apparent ». Contrairement à la défunte journaliste française, Oliver Hilmes, lui, s’est plongé dans la masse de documents conservés à la SiegfriedHaus. Rien ne nous est donc épargné de tous les sordides règlements de compte dont la villa Wahnfried fut le cadre. Il y a les litiges et jalousies entre les différents chefs du Festspielhaus : Felix Mottl, Hans Richter, bien sûr, mais aussi Hermann Levi, qui fut soumis aux pires humiliations à cause de sa « race », et Franz Beidler, époux d’Isolde, la première fille que Cosima avait eue avec Wagner, déshéritée ou plutôt « déwagnérisée » en 1909 (Cosima la fit reconnaître comme fille de son premier mari, Hans von Bülow). Si l’homosexualité de Siegfried Wagner, clairement abordée dans ce volume, ne paraît guère contestable, on s’étonne en revanche de lire que Henry James vivait « avec son compagnon » le peintre russe Paul von Joukovski (p. 156) : malgré la « tendre affection » du romancier américain pour le créateur des premiers décors de Parsifal, James n’eut jamais le courage de franchir le pas qui lui aurait permis de vivre une relation explicite avec un homme.
Pourtant, peut-être n’est-ce qu’un problème de traduction. En effet, Olivier Mannoni est un traducteur chevronné, Perrin n’est pas une maison d’édition qui tire le diable par la queue, alors comment expliquer l’invraisemblable négligence manifestée dans la relecture des épreuves ? Il y a bien quelques boulettes musicales, mais ce n’est pas le plus grave (le compagnon de Tristan est rebaptisé « Kurnewal », p. 93, et Aufforderung zum Tanz de Weber s’intitule traditionnellement en français « L’Invitation à la valse » et non « à la danse », p. 30). Par ailleurs, Monsieur Mannoni devrait savoir qu’il y a des noms propres qui ne sont pas les mêmes d’une langue à l’autre : le saint patron des chirurgiens, auquel Cosima devrait son prénom, se nomme certes Cosmas en allemand, mais on l’appelle en français Côme, à la rigueur Cosme ; le romancier anglais Bulwer-Lytton ne se prénommait pas Henry Georg mais Edward George. Quand une citation apparaît à plusieurs reprises, il serait logique qu’elle soit toujours traduite de la même façon en français, mais ce n’est pas le cas ici (voir pp. 79 et 90, 84 et 105). Plus grave, Franz Liszt devient le « mari » de sa mère (p. 23), la demi-sœur de Cosima devient sa « sœur adoptive » (p. 116). Surtout, de fréquentes coquilles font allègrement basculer Wagner dans le XXe siècle (1905 pour 1805, etc.) ; l’arbre généalogique de la famille, très mal présenté, est émaillé de dates assez croquignolettes du genre « 15.30.1930 » ou « 1.78.1886 » (p. 363) ; on fait naître Judith Gautier en 1856 au lieu de 1845 (p. 150), ce qui revient à dire qu’elle avait treize ans lorsqu’elle a pour la première fois rencontré Wagner, accompagnée de son mari Catulle Mendès (cette première visite est évoquée à la page 127-128, référence omise par l’index qui inclut en revanche une occurrence inexistante du personnage à la page 46). En matière d’erreur de dates, le pire est atteint à propos du texte « Le Judaïsme dans la musique », dont on peut lire (p. 123) qu’il fut publié en 1820, puis à nouveau en 1860, les dates réelles étant 1850 et 1869 ! Voilà donc un document gâché par le manque de soin apporté à l’élaboration de la version française. Espérons que la traduction de Ma Vie, de Wagner, à paraître chez Perrin, ne présentera pas les mêmes défauts.
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