Ramené sous les feux de l’actualité musicale par les représentations de Zampa à l’Opéra-Comique en 2008, Hérold a fait l’objet de nombreuses recherches consacrées aux dix dernières années de sa vie, la période 1823-1833 qui est aussi celle de ses chefs-d’œuvre. Cet ouvrage se propose donc d’approfondir la connaissance de ses années de formation à partir de lettres écrites par le compositeur durant ses deux séjours en Italie entre 1813 et 1815 et en 1821 et à partir de son Journal. Sans doute ces documents ont déjà fait l’objet de publications, mais ils sont ici présentés dans une révision orthographique et syntaxique qui a fait disparaître les difficultés de déchiffrage des originaux. En outre les extraits du Journal sont intercalés dans la succession des lettres pour combler autant que possible les lacunes chronologiques constatées.
La personnalité du musicien et son évolution sont ainsi rendus aisément perceptibles. Pour son premier séjour, alors qu’il aborde l’Italie comme lauréat du Prix de Rome, il se montre fils dévoué d’une mère vigilante, ami fidèle, jeune homme irrésolu comme on peut l’être à guère plus de vingt ans, mais bien décidé à atteindre une réussite parisienne dont son prix n’est que la première étape. Un objectif inchangé lors de sa mission de 1821 lorsqu’il retourne en Italie comme chef de chant du Théâtre Italien de Paris missionné par sa direction pour recruter des artistes. Ce qui explique sans doute qu’avant même d’avoir quitté le royaume de Naples où il a servi Joachim Murat il sollicite en secret la décoration que Louis XVIII accorde aux ralliés à la Restauration. Et qui indique la pertinence du commentaire de Castil-Blaze en 1825 : « Hérold rossinise et n’en fait pas mystère. Quoi qu’on en dise, il faut se jeter dans la voie qui mène au succès. »
Or, ce reproche récurrent adressé à l’auteur de Zampa, les contributions qui précèdent la correspondance permettent de le nuancer, voire de le récuser. Un texte de Julia Lu rappelle le rôle décisif de Napoléon Bonaparte dans la décision d’envoyer des musiciens français à Rome pour qu’ils s’y imprègnent de musique italienne et deviennent capables de rivaliser avec les compositeurs italiens, sans oublier d’en rapporter les recettes pour améliorer le chant français. Le texte de Benoît Dratwicki présente Hérold aux prises avec le sujet du Prix de Rome, la cantate obligée, dans le maquis des influences opposées, celle de son maître Méhul, tenant de l’harmonie, et celle de Gossec, partisan de la mélodie, tous deux membres du jury, et analyse la composition primée, La Duchesse de La Vallière, exemple de la souplesse du jeune Hérold, qui soumet son goût pour les audaces harmoniques au déploiement de mélodies.
Puis Alexandre Drawicki s’intéresse au séjour d’un lauréat à la Villa Médicis, entre libertés et contraintes. Sur le papier le programme d’études est vaste : se familiariser avec les styles musicaux les plus divers et maîtriser leur place dans une chronologie ; analyser les œuvres de compositeurs italiens du passé ; collecter, transcrire et étudier des chants populaires ; cela fait, envoyer chaque année des travaux codifiés, de genres divers et de complexité croissante. Hérold ne remplira pas ses obligations, mais en faisant jouer un opera buffa sur la scène du San Carlo de Naples il démontrera amplement s’être initié à la musique italienne.
Giuseppe Montemagno nous entraîne ensuite à Naples où Hérold séjourne de septembre 1813 à mars 1815. Les souverains étant beau-frère et sœur de Napoléon I° les liens entre la ville italienne et Paris sont étroits : d’où l’intérêt pour un ambitieux de faire parler de soi à Naples pour qu’on en parle à Paris. Trois mois après son arrivée, alors qu’il a déjà été nommé professeur de piano des princesses, il envisage d’écrire un grand opéra. Le plus long sera le choix d’un sujet et on ne peut qu’admirer la persévérance qui conduit Hérold à un choix suprêmement habile. L’examen de la partition conduit à dire qu’elle respecte parfaitement les prescriptions de la commedia per musica napolitaine, mais la structure formelle, où alternent sections musicales en vers et dialogues en prose, est influencée par l’opéra comique français. Même si plus tard Hérold ne sera pas tendre pour les faiblesses qu’il trouve à sa composition, essentiellement sur le plan dramatique, il n’en a pas moins réussi son assimilation de la musique italienne.
Olivier Bara s’attache alors à « la vocalité italienne dans les opéras-comiques d’Hérold » et à son « usage raisonnable » des ornements. Dès son premier séjour en Italie et alors qu’il va de représentation en représentation entendre les astres du bel canto, il préfère à la séduction du timbre ou à la virtuosité la vérité dramatique, la justesse de l’expression, l’équilibre entre geste, parole et musique. Son voyage de 1821, qui le mène de Turin à Venise en passant par Milan, Florence, Rome et Naples, où il doit recruter des chanteurs pour le Théâtre Italien de Paris, confirme cette option, conforme au « goût français ». Après 1820, pour Le muletier (1823) et Marie (1826) il dispose d’interprètes « rompus aux exigences de clarté et d’intelligibilité propres à l’opéra-comique, comme au délié et à la précision du chant d’agilité ». D’où l’évolution de l’écriture vocale, influencée par les succès rossiniens. Olivier Bara rappelle qu’accompagnateur au Théâtre italien dès 1816 Hérold assiste à toutes les représentations comme maestro au pianoforte ; qu’en 1826, premier chef de chant à l’Opéra, il participe à la création de Moïse et Pharaon, Le Comte Ory et Guillaume Tell ; qu’il écrit des fantaisies pour piano dur des thèmes rossiniens. Alors, imitation ou assimilation ? En tout cas il y a chez Hérold une constante, de ses premiers opéras-comiques jusqu ‘au chef d’œuvre final, Le Pré aux clercs, la virtuosité vocale reste cantonnée au rôle d’ornement d’un discours intelligible et n’est jamais une fin en soi, ce que démontrent plusieurs exemples.
Enfin Patrick Taïeb étudie les ouvertures composées par Hérold ; il montre comment le genre a évolué, et soutient que la tendance à l’accélération, prétexte à l’accusation de « rossinisation » est en fait antérieure à la vogue internationale du compositeur italien, en citant l’influence des menuets des symphonies londoniennes de Haydn et les scherzi beethoveniens, et en donnant l’exemple de l’ouverture des Deux maris notée en 1816 par Nicolas Izouard à 96, soit un rythme métronomique proche de l’emballement.
On voit que ces approches permettent de réévaluer l’art d’un compositeur souvent dénigré et de mieux le comprendre. Si l’on ajoute la présence de nombreuses notes en bas de page, une riche bibliographie, deux index copieux, les extraits de partition donnés en illustration, une iconographie de qualité, l’agrément de l’épistolier Hérold lorsqu’il raconte les péripéties de son voyage de Venise à Vienne, et au fond le charme de son humanité, à n’en pas douter, cet ouvrage est à chaudement recommander.
Maurice Salles