René Jacobs
Edition Secular music
Sacred Music. Cantatas, Laments, Oratorios, Passions.
Claudio Monteverdi (1567-1643), Madrigali
Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Arie Musicali
Claudio Monteverdi (1567-1643), Lamento d’Arianna
Luigi Rossi (ca 1598-1653), Canzonette Amorose
John Blow (1649 -1708), An Ode on the Death of Mr. Henry Purcell
William Lawes (1602-1645), Songs
John Blow (1649 -1708), Songs from Amphion anglicus
Italian Sacred Music (Alessandro Grandi, Giacomo Carissimi, Giovanni Battista Bassani…)
Alessandro Scarlatti (1660-1725), Passio Secundum Ioannem (St. John Passion)
Jan Dismas Zelenka (1679-1745), Magnificat
Jan Dismas Zelenka (1679-1745), Lamentationes Jeremiae Prophetae,
Benedetto Marcello (1686-1739), The 50th Psalm from Estro Poetico-Armonico
Nicola Porpora (1686-1768), « Or che una nube ingrata »
Antonio Caldara (ca 1670-1736), « Vicino a un rivoletto »
George Frideric Handel (1685-1759), « Mi palpita il cor »
George Frideric Handel (1685-1759), extraits des opéras Alessandro, Partenope, Tamerlano
Johann Sebastian Bach (1685-1750), extraits de La Passion selon Saint Jean, Messe en Si mineur, La Passion selon Saint Matthieu
Sony Classical
Deutsche Harmonia Mundi
10 CDs limited edition 88697918012
La fête avant les fêtes
Nul n’ignore qu’avant d’être un des chefs d’orchestre les plus en vue du circuit baroque, René Jacobs fut un contre-ténor à la discographie abondante, explorateur infatigable de partitions et de compositeurs méconnus. Et quand bien même on l’aurait oublié, un coffret de dix CDs, édité par Sony Classical, vient rappeler cette facette d’une personnalité dont l’étendue des talents musicaux et musicologiques ne doit pas occulter la dimension vocale. Piochés dans un catalogue dont on a dit l’épaisseur, ces dix CDs, enregistrés pour la plupart au début des années 80, proposent non pas le portrait d’un artiste, comme c’est souvent le cas dans ce genre de compilation, mais un parcours au sein d’un répertoire : le XVIIe et la première moitié du XVIIIe siècle. Le tout servi par les meilleurs musiciens de l’époque – La Petite Bande, Gustav Leonhardt, Sigiswald Kuijken, etc. –, en parfaite osmose avec un chanteur qui a le plus souvent motivé ces enregistrements. Peu de sentiers battus – Bach dans ce qu’il a de plus connu les deux Passions et la Messe en Si – et beaucoup de découvertes tout au long de ce périple décimal. Même les rivages de l’opéra Haendelien, quand ils sont abordés, le sont dans leur versant le moins familier, avec des extraits d’ouvrages peu représentés encore aujourd’hui : Alessandro, Partenope, Tamerlano.
Opéra donc mais aussi musique religieuse, cantates, chansons, lamentations, oratorios, passions, etc. Sur cet étal des expressions vocales alors en vigueur, chacun choisira selon son goût et ses affinités musicales. Difficile cependant de passer à côté des madrigaux de Monteverdi sans goûter au contrepoint touffu d’une écriture soutenue avec ferveur par un René Jacobs au sommet de ses moyens (l’enregistrement date de 1979). Autre incontournable, la Passion selon Saint Jean d’Alessandro Scarlatti, vaste fresque discursive qui s’ouvre par une poignante vocalise dont l’éloquence combine ici extase et douleur. Citons aussi les trésors mélodiques du Psaume 50 de Benedetto Marcello, dans lequel les voix de Guy de Mey et Kurt Widmer s’entrelacent amoureusement à celle du contre-ténor.
L’amateur d’opéra ne pourra faire l’économie d’un détour par le volume Haendel dont la séduction est inégale : Alessandro et Andronico (Tamerlano) avant Arsace (Partenope). René Jacobs n’est pas un virtuose, son art est celui du sentiment, non de l’artifice. La vocalise peut sembler parfois trop appliquée.
Enfin, même si moins inédits, les extraits des œuvres de Bach consacrent dans le registre sacré la suprématie du Cantor sur ses prédécesseurs et contemporains, surtout quand ses partitions sont comme ici interprétés avec une dévotion qui confine à l’adoration : un « Es ist vollbrazcht » dans La Passion selon Saint Jean sanctifié par le souffle, soulevé en son centre par une véhémence à laquelle le contre-ténor ne nous a pas habitués ; un « Ach ! Nun ist mein Jesus hin ! » de La Passion selon Saint Matthieu où la voix meurtrie flotte, angélique, au dessus du chœur ; et bien sur l’« Agnus Dei » de la Messe en Si mineur, inspiré, crucifié dans la chair même d’un timbre à cheval sur deux registres.
En cicérone de ce voyage au long cours, René Jacobs accompagne, commente, fait partager l’amour qu’il éprouve pour un répertoire que l’on connaissait mal avant qu’il en dévoile les mystères. Avec plus ou moins de bonheur selon les genres et selon les années. En toute logique, la voix accuse davantage la marque des ans dans les pièces religieuses des compositeurs italiens du seicento, enregistrées en 1986 et 1991, que dans les Canzonette amorese de Luigi Rossi qui, elles, datent de1981. L’avouera-t-on, de la même manière que l’on apprécie mieux la sapidité d’un velours balsamique quand il est mélangé à d’autres condiments, le timbre n’est jamais aussi séduisant que combiné à d’autres voix. Le chant d’une manière générale se satisfait moins d’hédonisme que d’expression. Introspectif, il préfère les effusions doloristes où peut s’épancher sans contrainte son goût des larmes. Avec néanmoins un sens certain des contrastes, comme dans la deuxième Lamentation pour le mercredi saint de Jan Dismas Zelenka. Là, le discours sait épouser la palette variée des sentiments en accord avec la musique.
Impossible, pour conclure, de ne pas mentionner les songs de John Blow, enregistrées en 1973 et remastérisées pour l’occasion. A l’aube de sa jeune carrière, René Jacobs y paye son tribut à Alfred Deller. Geste symbolique dans un coffret panoramique qui, à quelques mois près, trouverait naturellement sa place au pied du sapin.
Christophe Rizoud