Julia Varady a fêté ses 80 ans le 1er septembre dernier. Née à Nagyvárad, alors hongroise, aujourd’hui Oradea en Roumanie, Tözsér Julia (le hongrois inverse nom et prénom) étudie à Cluj puis Bucarest et intègre l’opéra de Cluj en 1962, où durant dix ans elle aborde un grand nombre de rôles, de Mozart à Puccini. En 1970, Christoph von Dohnanyi l’invite à Francfort et Cologne. Une Vitellia (La Clémence de Titus), très remarquée au festival de Munich, lui ouvre les portes de l’opéra de Bavière (où elle est engagée dès 1973), et de la reconnaissance internationale. C’est à Munich qu’elle fait la connaissance de celui qui deviendra son mari, le baryton Dietrich Fischer-Dieskau.
La liste des rôles qu’elle chante à Munich et à Berlin (où se concentre l’essentiel de sa carrière lyrique) est impressionnante, mais sa présence au disque reste étrangement limitée et dispersée (Idomeneo et la Clémence avec Böhm/DG, Don Giovanni avec Kubelik/Eurodisc, la meilleure Rosalinde de la discographie dans la Fledermaus de Carlos Kleiber/DG), jusqu’à ce que, dans la décennie 1990, Orfeo lui fasse enregistrer une série de récitals thématiques, la plupart sous la baguette amoureuse de Fischer-Dieskau, quelques autres avec le regretté Marcello Viotti. Ce sont ces dix disques qui sont aujourd’hui regroupés dans cet indispensable coffret.
Je rappelais à Hugues Gall, à côté de qui j’étais récemment assis à l’opéra Bastille, le souvenir intact et ébloui que je garde du spectacle inaugural de son mandat à l’opéra de Paris en septembre 1995, un Nabucco de Verdi où Julia Varady incarnait une phénoménale Abigaille, d’or et de feu. Mais l’ancien patron des opéras de Genève et Paris de m’expliquer que la voix de Varady n’était pas la plus facile à enregistrer, que le disque pouvait être réducteur pour une chanteuse qui peut déployer une aussi large palette de couleurs et d’incarnations.
Débuts au Carnegie Hall
Je ne résiste pas au bonheur de raconter un souvenir personnel. En octobre 1989, alors qu’elle avait chanté plusieurs fois au Met, Julia Varady faisait ses débuts au Carnegie Hall de New York, comme interprète des Vier letzte Lieder de Richard Strauss avec l’Orchestre de la Suisse romande dirigé par Armin Jordan. Moment de pure magie, osmose parfaite entre le chef, la chanteuse et l’orchestre. Le lendemain matin, je me trouve par hasard dans l’ascenseur de l’hôtel avec Julia Varady, que je félicite pour le concert de la veille, mais que je sens d’humeur chagrine. Nous rejoignons l’administrateur de l’OSR dans la salle du petit déjeuner, elle a dans les mains le New York Times et est persuadée qu’elle a loupé sa prestation, qu’on ne l’a pas entendue. Nous relisons ensemble le papier et le trouvons au contraire très flatteur, puisqu’il souligne les couleurs et la chaleur d’une voix qui se fond dans l’écrin orchestral que lui tisse le chef et dont on perçoit pourtant chaque inflexion, chaque intention. Un peu rassurée, Julia Varady prend congé. Deux heures plus tard, je la retrouve à nouveau dans l’ascenseur. Elle me saute presque au cou, tout sourire : « Je viens de parler à Dietrich, je lui ai lu l’article, il m’a dit exactement la même chose que vous, que ce papier était excellent, etc. » Il y eut quatre autres concerts avec le même programme et le même orchestre dans le cadre d’une tournée dans l’Est américain. Le dernier dans l’Ohio (Columbus ?) où de très longues minutes de larmes d’émotion et de gratitude mêlées submergèrent tant le public que les musiciens de l’orchestre… et la cantatrice elle-même.
Raretés
Commençons par les absolues raretés de ce coffret, qui sont aussi les enregistrements les plus anciens, comme la cantate scénique de Meyerbeer Les amours de Teolinda pour soprano, clarinette, chœur et orchestre captée en 1981.
La même année, de bien méconnues mélodies russes et françaises de Tchaikovski, qui bénéficient du piano inspiré du compositeur Aribert Reimann (l’auteur de Lear, créé par Fischer-Dieskau en 1978).
Suivront en 1984 tout un disque de mélodies de Louis Spohr (que Julia Varady partage avec Fischer-Dieskau), des extraits d’Olympie de Spontini. Dans les mélodies de Mozart et Richard Strauss captées en 1991, la chanteuse trouve en Elena Bachkirova mieux qu’une accompagnatrice, une partenaire à égalité d’inspiration.
Verdi, Puccini, Wagner, Richard Strauss
La décennie 90 permettra à julia Varady de graver ces Verdi, Puccini, Richard Strauss qu’elle a si souvent chantés sur les scènes allemandes. Il s’agit ici d’enregistrements de studio (‘Orfeo a publié par ailleurs plusieurs live où l’on retrouve sans doute mieux ce qui fait l’art incandescent de la cantatrice roumaine).
Difficile de recommander plutôt l’un que l’autre de ces disques. Tout est admirable. Si l’on devait marquer une préférence, ce serait sûrement pour des Wesendonck-Lieder bouleversants de pudeur et de nostalgie.
Un regret cependant : qu’aucun éditeur n’ait pensé à faire enregistrer les Quatre derniers Lieder à Julia Varady. On se consolera – un peu – en regardant cette captation de concert réalisée en 1992 à Leipzig.