On a coutume d’enregistrer les six motets les plus connus de Bach (BWV 225 à 230), en oubliant que la production du Cantor comprend aussi « Ich lasse dich nicht » (BWV Anh.159) et ce que le catalogue a retenu comme une cantate (BWV 118), sans compter les arrangements d’autres compositeurs. Aussi, le programme proposé par Grete Pedersen se signale déjà par la présence, inaccoutumée, du motet, pseudo cantate « O Jesu Christ, meins Lebens Licht ». Signalons aussi, avec un intérêt purement anecdotique, que l’enregistrement réalisé en deux prises, passe d’un diapason à 440 à 415 Hz.
Par-delà la riche vie polyphonique, toujours naturelle et claire, ces motets sont moins un exercice de virtuosité qu’un message spirituel sincère, où l’engagement individuel et collectif émeut profondément. Dès le « Komm, Jesu, komm », pris retenu, avec de superbes modelés, une souplesse étonnante, on est plongé dans climat de spiritualité lumineuse. Même si on ignore que la destination du motet était funèbre, on ne peut être insensible à cette plénitude apaisée. L’intelligence du texte et sa traduction musicale sont portés au plus haut niveau. Le « Fürchte dich nicht » a rarement été empreint d’une telle confiance, rassurante. L’esprit est là, tout comme dans «Der Geist hilft unser Schwachheit aus », avec ses doublures instrumentales obligées.
Le plus connu « Jesu, meine Freude » passe par toutes les expressions qu’appellent les onze parties du texte, organisées symétriquement. Les voix, de trois à cinq, sont à la fois d’une rare fraîcheur et d’une souplesse, d’une qualité d’articulation, de soutien qui forcent l’admiration. Dans un flux continu, sans la moindre ostentation, on passe de la joie, de la déploration à l’espoir, à la confiance, sans oublier l’animation du rejet du « vieux dragon ». La joie au sens le plus fort. Au risque de profaner ce chef-d’œuvre, pourquoi ne pas bercer un nouveau-né au chant de « gute Nacht, o Wesen » ? Les noms de chaque soliste mériteraient d’être énumérés, mais ont-ils une existence hors de l’ensemble idéal qu’ils forment ? La grandiose double fugue de « Lobet den Herrn, alle Heiden », l’illustration de l’éternité (« ewigkeit ») ne peuvent laisser insensibles. Des deux versions du motet sur cantus firmus « O Jesu Christ, meins Lebens Licht », qui diffèrent essentiellement par leur instrumentation, l’enregistrement retient la seconde, avec deux cors, mais sans trombones. Son classement parmi les cantates est une erreur de Schmieder (l’auteur du catalogue BWV) reprise par l’édition de la Neue Bach Gesellschaft. Sa qualité ne dépare pas dans le corpus des motets. Achever sur le « Singet dem Herrn ein neues Lied » relève de l’évidence. On renoue ainsi avec l’esprit de « Jesu, meine Freude ». La légèreté souriante de la jubilation peut-elle être égalée ? La dynamique y est merveilleuse, on est transporté jusqu’à la fugue finale sur Alleluia. Les doublures et le continuo se montrent particulièrement intelligents, quant au choix des timbres et à leur dosage : les instruments font discrètement corps avec les chanteurs. Dans le même esprit, l’ensemble requis pour le motet-cantate participe à la ferveur de cette interprétation des plus achevées.
Le chœur et ses solistes (mais tous les chanteurs ne le sont-ils pas ?) se montre d’une qualité exceptionnelle. Formé en 1950 par Knut Nystedt, il est dirigé par Grete Pedersen depuis 1990. Ses 26 chanteurs se sont illustrés avec un égal succès dans des répertoires très variés, de Bach à Saariaho, en faisant une large place aux compositeurs scandinaves.
Regrettons que le programme n’ait pas retenu le motet « Ich lasse dich nicht » – ce qu’autorisait le minutage – alors que le même producteur l’avait inclus dans l’interprétation de Masaaki Suzuki. Par ailleurs, l’éditeur oublie que ses enregistrements, originaux et le plus souvent de haute tenue, sont distribués et appréciés dans les pays francophones : la traduction des textes des motets aurait été bienvenue autrement qu’en anglais. Ces insatisfactions n’altèrent pas la qualité rare de cet enregistrement, que l’on peut recommander comme l’un des plus beaux jamais réalisés.