Olga Peretyatko ne perd pas de temps. Desdemone hors de propos dans Otello à Pesaro en 2007, elle repartait deux ans après à la conquête de La Mecque rossinienne dans un rôle mieux adapté à son soprano léger : Giulia de La Scala di Seta. En récital, la même année, elle faisait déjà valoir les qualités qui allaient servir d’accélérateur à son jeune talent : l’audace d’abord puis la musicalité, un timbre séduisant et, condition nécessaire aujourd’hui à toute carrière, un physique avantageux. Avec le Rossignol à Aix-en-Provence puis à Lyon en 2010, elle prenait un envol international. Depuis, la machine est en marche : Adina remarquée dans L’elisir d’amore à Lille la saison dernière, elle sera Giulietta d’I Capuletti e I Montecchi à Paris en novembre 2011. Dans la même logique conquérante, ce premier récital au disque, intelligemment dirigé par Miguel Ángel Gómez-Martínez, lui permet de franchir une nouvelle étape.
L’audace, disions-nous. Il en faut pour présenter ainsi, dans ce qui va lui tenir lieu de carte de visite, les airs les plus périlleux du répertoire, qui plus est dans des langues et des vocalités différentes. Quel rapport entre les coloratures d’Olympia, la chanson du saule de Desdemone calculée aux dimensions dramatiques d’Isabella Cobran, le lyrisme épanoui de Rusalka et celui délicat mais tout aussi intense de Magda dans La Rondine ? Autant de distance sépare Rossini de Massenet que Verdi de Strauss. Là, une vocalise élaborée à partir d’une syntaxe qui laisse libre cours à l’interprétation, ici une écriture virtuose sans marge de manœuvre avec, à l’arrivée, le danger de tout chanter de la même façon, le risque d’aligner les notes comme un voltigeur répète inlassablement les mêmes figures périlleuses. Combien d’oiseaux-lyres ont laissé des plumes à vouloir ainsi tout embrasser en outrepassant trop vite les limites fixées par la nature.
A ces a priori légitimes, Olga Peretyatko oppose un démenti réjouissant, à défaut d’être toujours convainquant. Le disque autorise des écarts que la scène ne tolèrerait pas. Rusalka ne se satisferait pas de la seule substance vaporeuse d’un medium qui demande encore à s’élargir mais, la romance à la lune, isolée de son contexte et servie par une musicalité que l’on a déjà soulignée, accomplit son devoir de charme. La voix serait-elle assez solide pour supporter les débordements orchestraux de Magda – La Rondine – prise dans les filets de la passion ? Telle qu’elle nous est tracée là d’un trait dont on a dit la séduction, cette Hirondelle, sensible et fragile, vole juste. Même le « regnava nel silenzio » sur lequel on n’aurait pas misé cher car on l’on aime noirci d’un fatum prescient, est intelligemment coloré de teintes aussi sombres que possible. Et ainsi, piste après piste, Olga Peretyatko balaye, parfois d’un simple clin de voix, les réticences. Y compris lors d’une chanson du Saule que l’on s’était pourtant résigné, fort de l’Otello pesaresque, à mettre de côté. La voix possède désormais suffisamment de densité en son centre pour que la cantilène puisse se gonfler d’émotion. Seul finalement le « Non si dà follia maggiore » apparaît hors sujet. Frivolité ne veut pas dire légèreté.
Evidemment quand le répertoire correspond pile poil à la tessiture, le plaisir monte encore d’un cran. Norina, Adina, vives et piquantes en diable, habillée d’atours vocaux qui font valoir leur redoutable pouvoir de séduction. Moins attendue mais tout aussi efficace, Olympia, l’une des plus ébouriffantes de la discographie, ornée et dardée de notes comme on n’en avait pas entendu depuis Dessay. Le suraigu est en effet une autre des armes d’Olga Peretyatko. En témoigne une Linda di Chamounix, à laquelle on pardonne sa volatilité, tellement elle pétille, sans pour autant que l’héroïne de Donizetti ne se transforme en clone de Lakmé. Là est aussi l’art de la soprano russe. Puis, comme un champagne au moment du dessert, irrésistible de ton, de malice, de ligne et d’aigu, Adèle de Die Fledermaus éclaire le Marquis sur les illusions de l’amour. Trop tard, on s’est fait prendre au piège.
Christophe Rizoud