Après Donizetti, un compositeur dont le nombre d’opéras (70 environ) se heurtait aux limites du procédé (un volume au format poche de moins de 200 pages), la Collection horizons poursuit son exploration de l’âge d’or de l’opéra italien avec un quinzième numéro consacré à Gioachino Rossini (1792-1868). Vaste et riche sujet que l’auteur, Gérard Denizeau1, choisit de traiter par une approche biographique, n’interrompant le cours de la chronologie que pour se livrer à une analyse plus détaillée des œuvres qu’il estime essentielles.
L’entreprise s’avère concluante dans les premiers chapitres, ceux des années de formation : 1792-1817, jusqu’à la création de La Gazza ladra. On y fait connaissance avec l’homme dont la postérité laisse une image qui n’est sans doute pas conforme à la réalité. Spirituel, bon vivant, paresseux : autant d’idées reçues que nuance Gérard Denizeau, soulignant le rythme de travail auquel Rossini fut soumis dès son plus jeune âge, la science et la conscience avec laquelle il s’appliqua à la composition et une certaine propension à la neurasthénie. Parmi toutes les anecdotes « dont la saveur n’est pas toujours en rapport directe avec la véracité », on retient cette réponse succulente de Donizetti à qui l’on demandait s’il jugeait possible que Rossini ait écrit Le Barbier de Séville en treize jours : « Pourquoi pas ? Il est si paresseux ! ».
On assiste aussi, dans ces premières années, à la naissance immédiate d’un génie musical s’épanouissant pleinement dans l’opéra buffa dont il transcende les codes pour forger son propre style : maîtrise de l’orchestration et du contrepoint, importance donnée au rythme, verve mélodique, vocalité débridée. Là se dessinent les bases de ce qui formera la grammaire de l’opéra italien pour les années à venir. La syntaxe mais aussi la sémantique avec une recherche de la vérité théâtrale qui influencera tous les héritiers du compositeur : Bellini, Donizetti, Verdi et même Puccini. Est-ce la raison pour laquelle Gérard Denizeau semble préférer le Rossini comique au Rossini sérieux, s’attardant longuement à étudier les ouvrages bouffes : cinq pages d’une analyse éclairée pour L’Italiana in Algeri, Il Turco in Italia, Il Barbiere di Siviglia et La Gazza ladra alors que Tancredi, Otello et Elisabetta, regina d’Inghilterra n’en bénéficient que d’une seule. On partage évidemment l’avis de l’auteur quand il affirme qu’il aura fallu à Rossini de nombreuses années pour maîtriser le drame aussi bien que la farce mais pas au point de cautionner un tel déséquilibre. D’autant qu’ensuite, les chefs d’œuvre dramatiques – Armida, Ermione, Maometto II, Semiramide et même Guillaume Tell – ne sont pas mieux lotis en nombre de pages.
Après l’intérêt suscité par les premiers chapitres, l’enthousiasme retombe donc un peu. Les années de gloire semblent moins scrutées comme si Gérard Denizeau se détachait de son sujet. Naples, Rome, Paris… Le rythme s’accélère quand on voudrait au contraire jouir des fruits promis par les fleurs dont on nous avait fait longuement respirer le parfum. Si un tel parti-pris peut trouver sa justification dans le format réduit de la publication, il est dommage alors d’avoir réservé plusieurs paragraphes au Paris des années 1820, avec une large digression sur La tuerie, une sculpture d’Auguste Préault qui, dans ce contexte, ne nous parait pas essentielle. De même, l’interview d’Annick Massis en fin de volume, quels que soient le talent et les affinités rossiniennes de la cantatrice, tombe comme un cheveu sur la soupe. Quitte à placer un entretien, n’aurait-il pas mieux valu choisir l’un des artisans de la Rossini renaissance (Rockwell Blake, Chris Merrit, Samuel Ramey, Marylin Horne) ou un chanteur doté de cette voix de contralto que chérissait entre toutes le maestro au point de lui avoir offert ses plus belles pages (Ewa Podles) ?
On retrouve avec plaisir en revanche les jalons habituels de la collection : tableau synoptique, biographie, discographie et DVDthèque sélectives (et discutables) ainsi qu’un catalogue exhaustif des œuvres qui, outre le théâtre lyrique, liste par ordre chronologique les cantates, chœurs, hymnes et autres compositions vocales et instrumentales. Sans oublier les quatorze volumes des pêchés de vieillesse. Bien qu’anecdotiques, ils referment la carrière exceptionnelle et énigmatique d’un compositeur auquel il faut redonner sa juste place dans une histoire de la musique qui, depuis la fin du XIXe siècle, tend à favoriser « la symphonie germanique au détriment du théâtre latin ». C’est là l’un des mérites de ce livre.
Christophe Rizoud
1 Enseignant et auteur d’ouvrages sur les beaux-arts et la musique dont, entre autres, Lurçat et Peindre la musique (Acatos), Musique & arts visuels et le Visuel et le sonore (l’un et l’autre chez Champion), Genres musicaux (Larousse, 1998).