Contrairement à la pierre avec laquelle Despina prétend guérir les « Albanais », Bastien und Bastienne n’est pas parti d’Allemagne pour aboutir en France, mais a fait le chemin inverse : Le Devin du village de Rousseau (1752) connut un succès qui lui valut d’être parodié sous le titre Les Amours de Bastien et Bastienne, parodie elle-même traduite en allemand et donnée à Vienne en 1764, puis notamment donnée à Salzbourg par une troupe d’enfants. Si l’opéra est néanmoins mesmérique au même titre que l’aimant de Despina, c’est qu’en 1768 que l’œuvre de Mozart fut créée dans un cadre privé : chez Franz-Anton Mesmer, à Vienne.
Evidemment, cette composition s’apparente à une pochade, non parce que le jeune Wolfgang n’avait alors que douze ans, mais à cause du genre auquel elle se rattache : l’opéra-comique pastoral, ou plutôt le singspiel, avec dialogues parlés et airs « naïfs » : couplets brefs, musique délibérément simple, comme il convient à des personnages de bergers.
De ce point de vue, le complément de programme proposé par Signum Classics avecce nouvel enregistrement de Bastien et Bastienne relève un peu du mariage de la carpe et du lapin, puisqu’il s’agit de la Grabmusik, courte cantate en forme de dialogue entre l’âme humaine et un ange, qui alterne récitatifs et airs écrits dans le plus pur style de l’opéra seria.
Ne soyons pas trop sévère : Bastien et Bastienne inclut des moments tout à fait charmants, et la « musique sur le tombeau du Christ » (pour tenter de traduire la notion de Grabmusik) est mieux qu’un exercice de débutant. Malgré tout, il faut attendre Mitridate (1770) pour que Mozart devienne vraiment un compositeur lyrique intéressant. Ce nouveau volume de l’intégrale entreprise par l’ensemble The Mozartists pourrait donc passer pour moins essentiel, mais se présente, pour Bastien et Bastienne, comme la première version respectant le manuscrit original de Mozart retrouvé à Cracovie dans les années1980, sans les ajouts et modifications introduits par Johannes Schachtner, futur librettiste de Zaide, qui remplaça le texte parlé par des récitatifs (Mozart ne mit en musique que les premiers, puis renonça bien vite). Mais il ne s’agit là que de menues variantes portant sur les mots et non sur les notes.
La soprano Anna Lucia Richter assure le lien entre les deux œuvres, puisqu’elle interprète à la fois l’Ange et Bastienne. Interprète régulière des cantates de Bach, choisie par Teodor Currentzis comme Servilia de sa Clémence de Titus, cette jeune artiste allemande possède une voix agréable et fraîche : on n’en demande pas forcément beaucoup plus pour ces œuvres, et elle joue admirablement les dialogues de Bastien et Bastienne. En Ame, Jacques Imbrailo fait montre d’une grande facilité dans l’aigu, indispensable pour l’air virtuose qu’inclut la partition, et le dramatisme de son chant est bienvenu pour animer cette parabole fort peu théâtrale. Le ténor Alessandro Fisher exécute très correctement le peu que Bastien doit chanter, et Darren Jeffery est un Colas plein de bonhomie.
Fidèles à leur réputation, The Mozartists défendent cette musique avec leur souffle coutumier. On attend néanmoins avec impatience que l’ensemble brillamment dirigé par Ian Page ait à nouveau des partitions un peu plus substantielles à se mettre sous la dent.