Enregistré quelques mois avant le Renaud de Sacchini sorti au printemps dernier, cette Toison d’or – où l’on retrouve plusieurs des artistes présents sur le disque Sacchini – vient s’inscrire dans le formidable mouvement de redécouverte du répertoire de l’Académie royale de musique dans la décennie pré-révolutionnaire. Après avoir bien défriché les périodes lulliste et ramiste, les baroqueux abordent l’âge classique, et ils ont mille fois raison. Natif de Nuremberg venu faire carrière à Paris, Johann Christoph Vogel fut fauché dans la fleur de l’âge après avoir livré seulement deux opéras, dont un Démophon créé après sa mort. Ce trépas prématuré fut considéré comme une perte des plus regrettables pour la musique française, tant ce disciple de Gluck semblait apte à reprendre le flambeau du maître. De fait, la partition de La Toison d’or a cette majesté renouvelée de l’antique que prisait temps les contemporains de Marie-Antoinette, mais Vogel n’y laisse pas moins entendre un tempérament bien personnel, qui lui permet notamment de proposer une page aussi sublime que l’air d’Hipsiphile au premier acte, « Hélas, à peine un rayon d’espérance », d’une grâce nostalgique totalement mozartienne, où fait merveille le timbre argenté de Judith van Wanroij. Si Marie Kalinine explosait dans Renaud, on la retrouve ici dans le rôle écrasant de Médée, mais c’est peut-être sa rivale, la douce reine de Lemnos, qui lui ravit ici la vedette, tant l’art de la soprano néerlandaise illumine chacune de ses interventions. Non que la mezzo française démérite, bien au contraire : dans un rôle de magicienne malfaisante, elle fait valoir toutes les moirures de sa voix mais Vogel lui permet peut-être moins que Sacchini de laisser éclater sa forte personnalité. De même, Jean-Sébastien Bou paraît un peu moins à l’aise en Jason qu’en Hidraot chez Sacchini ; c’est plus facilement explicable dans son cas, le rôle se bornant pratiquement à quelques déclarations martiales assez convenues. Le texte un peu plat de Desriaux (futur auteur du livret de la Sémiramis de Catel, récemment ressuscitée par Hervé Niquet) est en partie responsable de ces menus problèmes.
Autour de ces trois protagonistes essentiels gravitent diveres personnages très secondaires, dont les interventions restent très brèves. Le personnage de la Sibylle échoit à Jennifer Borghi, apparemment très appréciée des responsables du Palazzetto Bru Zane qui nous la donnent à entendre dans beaucoup d’enregistrements par eux parrainés. Calciope, la sœur de Médée, a droit à un air : Hrachuhi Bassenz s’exprime dans un français compréhensible, mais la voix semble trop lourde même pour le peu d’agilité que requiert le rôle. Martin Nyvall ne parvient qu’imparfaitement à masquer son accent suédois ; il est heureux que sa prestation se borne à une seule scène, même si c’est la première de l’œuvre. Paradoxalement, c’est aux deux artistes du chœur promues solistes en tant que Suivantes de la Sibylle, qu’on doit le chant le mieux articulé et les voix les plus agréables parmi les seconds rôles. Vogel est légitimement honoré par sa ville natale, d’où la présence du chœur de l’opéra de Nuremberg, au français tout à fait acceptable et à la vigueur bienvenue ; en revanche, l’acoustique du Staatstheater n’est peut-être pas la plus flatteuse qu’on puisse imaginer. A la tête de son Concert spirituel, Hervé Niquet privilégie le grandiose et l’élégiaque, là où d’autres auraient peut-être mis davantage en relief la monstruosité de Médée.