Voici le premier enregistrement mondial du Second Livre de chants sacrés de Carlo Gesualdo, ouvrage composé d’une vingtaine de courts motets (les durées sont comprises entre 2’30 et 4’) à 6 et 7 voix publié en 1603 mais qui avait jusque-là été laissé de côté car deux parties étaient manquantes, celles de sextus (6e voix) et de bassus (la basse). Non pas que ces parties aient été récemment retrouvées ni même un conducteur d’époque mis à jour car Gesualdo en a réalisé lui-même plusieurs d’autres œuvres. Non, les voix disparues ont été tout simplement réécrites, réinventées par James Wood qui y a consacré trois ans de sa vie. Pour ce faire, le musicien et musicologue né en 1953 a surtout travaillé avec les autres partitions de Gesualdo, en particulier le Premier Livre de chants sacrés, paru la même année que le second mais ne comportant que des pièces à 5 voix, pour en saisir le style propre, en dégager des constantes compositionnelles et ainsi être capable de proposer des parties cohérentes et convaincantes. Il ne faut y voir aucune trahison : pour commencer, n’importe quel étudiant en classe d’écriture est capable de reconstituer des parties manquantes d’une composition à 4 voix d’un style bien délimité dont on ne lui fournit qu’une seule. Ensuite, ici, 4 ou 5 parties selon les pièces étaient déjà disponibles, ce qui facilitait grandement la tâche. Pour finir, complétant l’étude avec les livres de madrigaux – profanes, donc, – du même compositeur, James Wood a eu à sa disposition un corpus très conséquent d’œuvres lui permettant ainsi d’avancer sans trop de risques sur la voie de ces reconstitutions. À l’écoute du résultat, notre musicologue semble avoir parfaitement atteint son objectif : bien malin celui qui pourrait déceler une erreur flagrante ou un contresens musical manifeste et ainsi critiquer son travail tant ce dernier a été réalisé avec soin. Les différents motets se déroulent et s’enchaînent avec fluidité, encadrés par deux cantiques appartenant à un recueil de pièces sacrées de 1611 (Responsoria et alia ad Officium Hebdomadae Sanctae spectantia, à 6 voix), à l’esthétique résolument tridentine tant ils semblent avoir été écrits par Palestrina. Les pièces du Second Livre ne sont pas présentées dans l’ordre sous lequel elles figurent dans le recueil imprimé mais ont été regroupées en thématiques : prières pour le salut (7 pièces), désespérance et pleurs (3 pièces), paix et espérance (4 pièces), prière et remerciements (en rapport avec la Passion, 6 pièces) ce qui évite l’éparpillement des atmosphères. Par rapport à ce que nous connaissions du style plutôt torturé et éminemment expressif du compositeur parcourant ses livres de madrigaux, les pièces de ce corpus sont étonnement très sages, le figuralisme – bien que présent – étant très adouci : on ne trouvera pas ici de grandes quantités d’enchaînements d’accords surprenants, de chromatismes exacerbés ni même de brusques silences, autant d’éléments coutumiers du style « classique » du musicien. Lorsque les voix entrent les unes après les autres, les imitations se réalisent dans une sérénité rarement décelable dans ses autres œuvres et correspondent bien au contenu religieux des textes, tous emprunts de dévotion. À une exception près (Ardens est cor meum) nous sommes bien loin du qui-vive musical et des grandes envolées auquel Gesualdo nous avait auparavant largement habitué comme si à presque quarante ans, l’heure n’était plus aux expériences hardies mais à l’établissement d’une sorte de bilan tourné vers le passé car en ce début du XVIIe siècle, en 1603, un style beaucoup plus moderne se développe, mais ici sans sa participation. Ce recueil peut être considéré comme l’un des derniers grands monuments musicaux de la Renaissance. Le Vocalconsort de Berlin est un ensemble d’une quinzaine de chanteurs de grand talent qui se sont relayés pour l’enregistrement de cet album. Sous la houlette experte de James Wood, ils sont parvenus à nous délivrer 70 minutes d’une musique passionnante et exigeante car peu racoleuse sans jamais susciter de la part de l’auditeur de l’ennui ou même une simple perte de concentration. Très bien chantées, les lignes musicales sont également très fidèlement rendues grâce à l’extrême clarté de l’enregistrement qui ne noie pas les chanteurs sous une chape de réverbération comme c’est souvent le cas dans ce genre de répertoire mais qui est suffisante pour éviter toute sècheresse.
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