Voilà un DVD qui propose un concept astucieux : associer musique et architecture, un peu comme lorsque l’on consacre quelques heures à visiter une ville étrangère dans laquelle on s’est rendu pour assister à un spectacle lyrique. Le concert qui nous est présenté ici, se déroule dans trois lieux différents, judicieusement choisis : la grande salle de bal du Palais Youssoupov où sont données les deux scènes de Verdi, le théâtre baroque situé à l’intérieur de ce Palais, dont le cadre intime convient idéalement au groupe de mélodies russes accompagnées au piano, et enfin, la somptueuse salle de bal dorée du Palais Peterhof qui sert d’écrin aux airs de Tchaïkovski.
Entre les différentes parties de ce concert éclaté, Renée Fleming joue les cicérones avec talent et convie le spectateur à une visite commentée de Saint-Pétersbourg, ses canaux, ses monuments les plus célèbres, le Palais d’Hiver, la Colonne d’Alexandre, la Cathédrale Saint Sauveur, le monastère Saint-Alexandre-Nevski et le cimetière Tikhvine où reposent Borodine, Glinka et Tchaïkovski sur la tombe duquel la cantatrice dépose une rose rouge. Les superbes prises de vue de Brian Large ajoutent à l’intérêt de ces intermèdes touristiques.
Le programme, qui fait la part belle aux compositeurs russes, notamment Tchaïkovski dont nous entendons deux mélodies, deux airs et un duo d’opéra, s’ouvre avec Verdi qui, comme nous le rappelle Renée Fleming, séjourna dans la ville à l’occasion de la création de La Forza del destino.
Le duo de l’acte IV du Trovatore est particulièrement électrisant : grand habitué du rôle, Hvorostovski campe un Comte de Luna autoritaire à souhait face à la Leonora déterminée de Renée Fleming, tout à fait convaincante en femme aux abois qui se débat jusqu’à s’offrir elle-même pour sauver son bien-aimé. L’extrait de Boccanegra n’atteint pas les mêmes cimes, sans doute à cause de la direction un rien prosaïque de Constantine Orbelian – qui se montrera plus inspiré par Tchaïkovski- et des minauderies de la cantatrice qui évoquent davantage une grande coquette qu’une pauvre orpheline.
Le groupe de mélodies russes, d’une totale réussite, constitue sans doute le sommet de cet enregistrement. Soutenus par d’irréprochables pianistes, les solistes nous en livrent des lectures de haut vol. Renée Fleming y reprend deux pages de Rachmaninov qu’elle avait enregistrées voici une dizaine d’années avec Jean-Yves Thibaudet et qu’elle propose ici avec davantage d’intensité et d’expression. Hvorostovsky se montre souverain dans les œuvres de Tchaïkovski, notamment la célèbre sérénade de Don Juan où la virilité de son timbre d’airain fait merveille. Il nous fait également découvrir une superbe mélodie de Nikolaï Medtner « Soir d’hiver », sur un texte de Pouchkine.
Autre rareté, l’air de Natacha, extrait de L’Opritchnik de Tchaïkovski, chanté avec beaucoup d’émotion par Fleming dans la dernière partie du concert qui s’achève avec la scène finale d’Eugène Onéguine, où les deux interprètes retrouvent avec bonheur les rôles dans lesquels ils avaient triomphé au Metropolitan Opera en 2007.
Quatre bonus viennent compléter ce DVD. Hvorostovsky y déploie toute sa séduction vocale dans le rare Neron de Rubinstein et si le « Casta diva », un rien sophistiqué, de Renée Fleming demeure anecdotique, la cantatrice confirme ses affinités avec la musique de Tchaïkovski dans l’air de Lisa, extrait de La Dame de Pique, dont elle livre une lecture touchante et finement nuancée.
Christian Peter