Drôle d’ouvrage que cette Gazzetta, créée à Naples le 26 septembre 1816. Drôle au sens comique du terme puisqu’il s’agit d’un opera buffa en deux actes, le seul ouvrage de ce genre composé par Rossini pour un théâtre napolitain. Drôle aussi car insolite. Elaborée dans la précipitation à partir d’extraits de La Cenerentola (l’ouverture), La pietra del paragone, Torvaldo e Dorliska et surtout d’Il Turco in Italia, la partition fait l’effet d’un gigantesque patchwork inabouti. Le livret de Giuseppe Palomba et Andrea Leone Tottola d’après la pièce de Carlo Goldoni, Il matrimonio per concorso, est partiellement écrit en dialecte napolitain, ce qui n’a pas aidé au rayonnement de l’œuvre. Son propos, qui veut dénoncer avant l’heure l’influence des médias, est suffisamment embrouillé pour que l’auditeur renonce rapidement à suivre son développement et se concentre sur l’essentiel : la musique. La Gazzetta, au contraire d’autres opéras de Rossini, aussi bien buffa que seria, offre peu d’airs mémorables. Dans une partition où les ensembles représentent donc la part du roi, il faut une équipe plus qu’une somme d’individualités pour exprimer le pétillement de l’écriture. C’est là le principal atout de cet enregistrement de 1977, édité en un coffret par Nuova Era dans le cadre de sa collection « Italian Vocal Art » Pas de grands noms, mais une affiche homogène et unie qui nous amuse en même temps qu’elle semble elle-même se divertir.
Qui se souvient aujourd’hui d’Eva Czapò, de Mario Chiappi ou de Gino Orlandi ? La Rossini renaissance quelques années plus tard, en réinventant un chant dont on avait détourné les codes, allait effacer de nos mémoires ces artistes qui furent en leur temps assez connu en Italie. D’habiles chanteurs, suffisamment doués pour contourner les pièges d’une vocalité exigeante, mais dont on serait bien en mal de citer quelques faits d’armes.
Seul Gian Carlo Ceccarini semble ne pas être passé au travers des mailles du filet de postérité tendu sur la toile par Wikipedia. Ce qui n’empêche pas son baryton, souvent blafard, de s’empêtrer dans les roulades de l’unique aria de Filippo, le périlleux « Quando la fama altera ». A choisir, on préfère le Dom Pomponio de Mario Chiappi, authentique basse bouffe selon un usage qui, lui pour le coup, n’a jamais connu d’éclipse et qui perdure ici avec suffisamment de panache pour rendre saillante la cavatine « Co’ ‘sta grazia e ‘sta portata ». Giuseppe Baratti, le jeune premier de l’histoire, présente l’avantage de ne pas ressembler à ces ténors rachitiques que l’on distribuait à l’époque dans Rossini. Au contraire, le timbre a de l’épaisseur et le medium est solide. Revers de la médaille, la voix manque d’éclat – qualité souhaitable dans les ensembles – et le suraigu, autre condition nécessaire au contraltino rossinien, est constamment esquivé.
De la même façon que le ténor se démarque d’une mauvaise tradition, on échappe ,côté soprano, aux voix de soubrettes qui ont trop souvent violacé ce répertoire. Le chant d’Eva Czapò (Lisetta) a du corps, à défaut de personnalité. Ce n’est pas de charme que manque Benedetta Pecchioli (Doralice) mais d’imagination. Un tel vocabulaire pourra sembler limité à ceux qui s’abreuvent depuis trente ans à la fontaine glorieuse du renouveau rossinien. Avec ces quelques mots, Bruno Rigacci parvient cependant à écrire un discours sage dont on se contentera, faute de beaucoup mieux dans la discographie actuelle.
Christophe Rizoud