Jeune talent à découvrir ! L’expression a été prise au pied de la lettre chez Erato, puisque Jakub Józef Orliński se trouve privé de chemise pour la deuxième fois consécutive – trois, en comptant Enemies in Love chez Evoe Records. « Couvrez ce sein », grinceront donc encore certains mélomanes suspicieux. Quoi, un chanteur lyrique userait de ses charmes pour séduire le public ? Et pourtant : le castrat Marchesi, la Malibran, Lina Cavalieri, Marthe Chenal, Franco Corelli, Anna Moffo… On pourrait dresser une liste infinie d’artistes dont la notoriété reposait aussi sur un physique avantageux, depuis les origines du genre. Si Orliński ressemble aux statues des héros qu’il est censé incarné, tant mieux !
Reste à savoir si le chant est à l’avenant. Le contre-ténor, chastement voilé d’un bleu marial, avait livré un premier récital Erato consacré au répertoire sacré que notre collègue Bernard Schreuders trouvait « touché par la grâce », devinant toutefois qu’« éclats dramatiques et intensité pathétique ne sont pas pour Orliński ». Ce nouveau disque affiche pourtant une ambition franchement dramatique, du théâtre vénitien de Cavalli et Boretti à l’opera seria exalté par les castrats Nicolino, Bernacchi, Senesino ou Farinelli, le tout parfaitement agencé. Accompagnateur efficace, Il Pomo d’oro s’efface ici derrière le chanteur. Les airs respirent avec justesse et naturel, les effets sont dosés. Quitte à se montrer timide (folie d’Orlando), Maxim Emelyanychev laisse le devant de la scène à un Orliński prompt à démentir tout a priori de placidité.
Avec succès. L’interprète affirme au fil des airs une vraie personnalité artistique, pas vraiment explosive, mais caractérisée par une fine attention aux situations et au texte. Affects et personnages sont bien différenciés, montrant tous les visages de l’amour promis par le titre (Facce d’amore). La virtuosité est suffisante – la haute pyrotechnie a été judicieusement évitée – et les reprises sont très pertinemment variées. Comme chez tant de falsettistes, on peut regretter une relative monochromie ; en revanche, les aigus ne sont jamais aigres ou tirés, le passage est fluide et les graves bien sonores, qualités bienvenues dans un répertoire d’alto où les lignes scabreuses et les aspérités ne manquent pas. Dans Anima sacra, Bernard Schreuders déplorait une émission qui « manque de franchise » : là encore, le chant globalement ferme s’infléchit d’accents frêles, ce qui est probablement un choix expressif auquel nous préférons des piani soutenus. Ainsi la scène de La Calisto est-elle rendue avec force nuances : on voudrait parfois un geste plus ample. Étonnamment, cet Endimione manque aussi d’érotisme, tout comme l’Eliogabalo de Boretti – un comble pour l’empereur jouisseur. Péremptoires, le Pirro de Scarlatti et le Nerone d’Orlandini (et/ou Mattheson) ont néanmoins toute la stature requise et constituent de belles découvertes musicales. À l’autre extrémité du spectre expressif, on apprécie un « Crudo amor » de Boretti justement amer, à l’instar de l’Aminta de Bononcini. Le falsettiste s’aventure aussi en terrain connu chez Haendel : le récitatif et le lamento d’Ottone séduisent, tandis que le dialogue de Dardano avec le hautbois (le basson est en retrait) est joli, mais plus effleuré et guère poignant. Impitoyable test, la scène de folie d’Orlando est mieux qu’honorablement enlevée. La grâce de Predieri finit de flatter Orliński, et même si l’interprétation de l’air de Hasse qui clôt le récital nous semble plus appliquée qu’enjôleuse, elle ne manquera pas de faire chavirer quelques cœurs.
Ce disque particulièrement bien conçu s’écoute avec beaucoup de plaisir, d’autant que le curieux y trouvera de nombreuses raretés de belle facture. Pour mieux juger des qualités et limites du jeune artiste, rendez-vous au Théâtre des Champs-Élysées le 19 décembre prochain.