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Pourquoi l'opéra ?

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19 février 2014
Eucharistie ou corrida ?

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Pourquoi l’opéra ?

Textes réunis par Maud Pouradier
Nouvelle Revue d’Esthétique, n° 12 / 2013
Presses Universitaires de France
ISBN 978-2-13-061820-1

240 pages, 28 ill.
30 euros 50

 

Que la philosophie se penche sur l’opéra, on ne s’en plaindra évidemment pas. Que le résultat soit toujours éclairant ou palpitant, on n’ira pas jusqu’à l’affirmer. La Nouvelle Revue d’Esthétique a consacré au genre lyrique son dernier numéro de l’année 2013, avec comme titre cette interrogation (qui, pour nous, ne se pose pas) : Pourquoi l’opéra ? Outre cinq « entretiens » avec un musicologue et des compositeurs français vivants qui ont plus ou moins tâté du genre lyrique, le volume inclut dix « études » relevant de domaine assez variés, puisque s’y côtoient deux articles sur la mise en scène d’opéra – sans doute les plus abordables –, des travaux historiques sur la conception qu’on se faisait du genre, de la tragédie en musique jusqu’au Gesamtkunstwerk et au-delà, et même des réflexions d’ordre franchement métaphysique, nettement plus absconses. Lieu de communion ou de conflit, l’opéra y est présenté sous ses visages les plus divers.

Sur la mise en scène, on lira avec intérêt le texte que Cristina Barbato a écrit dans le prolongement de sa thèse soutenue en avril dernier, où elle comparait les productions d’opera seria de Rossini par Luca Ronconi, Pierluigi Pizzi et Pier’Alli : elle recentre ici son propos sur le Moïse de Ronconi (Scala, 2003) et le récent Mosè de Graham Vick (Pesaro, 2011), ce qui lui permet d’opposer regia critica et Regietheater, interprétation religieuse et interprétation patriotique, l’une resituant l’œuvre à l’époque de sa création, l’autre optant pour une actualisation. Dans « L’opéra ou l’émancipation du corps », Leyli Daryoush se penche sur la multiplication des figurants-voyeurs dans les mises en scène modernes (Sellars, Marthaler, Warlikowski) : ces témoins auditifs, « corps muets, mais éloquents dans leur écoute » rôdent sur le plateau, « figure d’une corporalité non chantante ». Partant de ce constat, elle se livre à une réflexion sur les « concordances et discordances entre la voix et le corps » à l’opéra.

Les différents articles sur l’histoire du genre lyrique n’apporteront peut-être pas de grandes révélations aux connaisseurs : melos et logos dans la tragédie en musique au service de la monarchie absolue en France, recours au mélodrame dans le Pygmalion de Jean-Jacques Rousseau, l’œuvre d’art totale chez Wagner, toutes ces étapes de l’évolution de l’opéra sont assez connues. Plus neuve, peut-être, l’étude d’Agnès Gayraud sur l’opéra selon Theodor Adorno. « Elevé par une mère et une tante toutes deux chanteuses professionnelles », le philosophe entreprit au début des années 1930 de composer un opéra à numéros, Le Trésor de Joe l’Indien. Dans ses écrits théoriques, c’est la notion de magie qui prévaut, qu’il s’agisse du Freischütz, des Contes d’Hoffmann ou de la Tétralogie ; curieusement, Parsifal trouve grâce à ses yeux parce qu’il y voit un échec sublime, où « la fantasmagorie finit par neutraliser la magie elle-même », préfigurant ainsi la Modernité, celle par exemple du Mahagonny. Par son esthétique hétérogène, l’oeuvre de Brecht/Weill donne de la magie opératique une version moderne, « volontairement informe, violente et désenchantée ».

Comme le montre l’intéressant article d’Aude Ameille, si l’opéra connaît un retour en grâce depuis les années 1970-80, y compris auprès des compositeurs, c’est parce que l’art lyrique permet « de partager collectivement et physiquement une émotion ». Après avoir été longtemps honnie, il est désormais perçu comme « l’art le plus à même de rendre compte de notre société contemporaine », grâce à son hybridité, son hétérogénéité même. C’est en ce sens qu’il serait un moderne équivalent de l’eucharistie, « un événement social de communion affective », comme l’explique Maud Pouradier dans « L’opéra est-il une œuvre musicale ? ». A cette conception idéale s’oppose la triste réalité que dénoncent certains des compositeurs interviewés en fin de volume. Pascal Dusapin déclare ainsi que « Bien des directeurs d’institutions lyriques font beaucoup pour que les pièces contemporaines appartienne peu au répertoire », en se refusant à remonter des opéras créés ailleurs sous prétexte qu’une reprise ne suscitera pas assez d’attention de la part des médias. L’information circule désormais trop vite, un opéra nouveau cesse d’être neuf aussitôt après sa création. Philippe Hersant rappelle que, pour Michel Leiris, une représentation d’opéra rappelait une corrida, par sa prise de risque constante, il peut aussi s’agir d’une lutte à mort entre un compositeur et ceux qui ont le pouvoir de faire vivre ou mourir ses œuvres. Cela dit, les compositeurs eux-mêmes devraient peut-être balayer devant leur porte. Pascal Dusapin, fier de refuser toute narrativité dans ses opéras, prononce cette phrase qui laisse rêveur : « Il ne faut pas oublier que certains spectateurs arrivent à l’Opéra de Paris en bus ! » Quelle horreur, des mélomanes qui prennent les transports en commun pour se rendre en un lieu où ils s’apprêtent à célébrer l’eucharistie moderne, autrement dit, à connaître un transport en commun…

 

 
 

 

 

 

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