Il faut l’avouer : on ne rigole pas trop, ces derniers temps. L’état du monde fin 2020 ne prête guère à sourire, alors vous prendrez bien une petite touche de légèreté ?
Cette délicieuse serenata de 1727 ne vous étreindra pas d’émotion, et ce n’est d’ailleurs pas son but. Le propos est mince : après la chute de Troie, Énée et son fidèle Nisus débarquent en Chaonie, au nord-ouest de l’Épire. Ils y badinent avec une charmante chasseresse nommée Ilia, et retrouvent Andromaque, désormais épouse d’Hélénus, fils de Priam. Luigi Maria Stampiglia a ici adapté un livret inspiré de l’Énéide écrit par son père Silvio, fameux dramaturge (Il Trionfo di Camilla, La Partenope…). Deux parties bien troussées s’écoulent promptement au fil de galanteries autour d’Ilia – personnage non présent chez Virgile – et d’évocations des destins troyens, jusqu’à la fondation de Rome.
Dans ses notes d’accompagnement, Raffaele Mellace, grand spécialiste de Hasse, fait le point sur les hypothèses liées à la genèse de l’ouvrage, probablement donné en l’honneur de la visite à Naples de Violante-Béatrice de Bavière, veuve du Duc de Toscane Ferdinand de Médicis, accompagnée de son neveu Clément-Auguste, nouvel archevêque-électeur de Cologne. Cela faisait déjà cinq ans que Johann Adolf Hasse s’illustrait à Naples où il avait bénéficié des conseils du vieux Scarlatti, s’inscrivant ainsi dans la nouvelle et brillante école napolitaine portée par Mancini, Sarro, Porpora, Leo et Vinci.
En dépit de l’immense renom dont Hasse jouissait de son vivant, son œuvre reste aujourd’hui dans l’ombre, même si elle bénéficie de la résurrection des compositeurs de cette école depuis une douzaine d’années. La première période créatrice de Hasse est sans doute la plus négligée… Sauf en ce qui concerne son opus le plus joué aujourd’hui, la serenata Marc’Antonio e Cleopatra, antérieure de deux ans à Enea in Caonia, et plus dense dramatiquement.
Le jeune musicien donne ici le meilleur du style des années 1720 avec une vivacité rythmique constante et des mélodies immédiatement accrocheuses (« Ti bacio » par exemple). Jamais il ne s’appesantit au cours de récitatifs brefs et d’airs tantôt vifs, tantôt gracieux qui sont autant de petits tableaux charmants. On distinguera la nostalgie de « Spargo rami di fiori » d’Andromaque, ou « Le memorande imprese » d’Hélénus.
La contralto Francesca Ascioti, récemment remarquée en Dori de Cesti, a elle-même cofondé l’ensemble Enea Barock Orchestra pour ressusciter cette œuvre. C’est un nouveau signe de l’aggiornamento baroque de l’Italie, qui a attendu le XXIe siècle pour s’intéresser aux deux cents ans de patrimoine lyrique qui précèdent Rossini. Mis à part le ténor, toute la distribution est d’ailleurs italienne ! Les artistes ont mûri le projet lors d’un atelier placé sous la houlette de Vivica Genaux, autre fine experte de Hasse. À défaut de personnalités vocales exceptionnelles, il faut saluer une belle réussite d’ensemble, sans effet de manche, sous la baguette dynamique et équilibrée de Stefano Montanari. Voix graves prometteuses de Francesca Ascioti et Raffaella Lupinacci, la première plus mate et profonde, l’autre plus onctueuse et ductile. Habituée de répertoires plus lourds, Carmela Remigio a manifestement conservé de la souplesse, et on se félicite d’entendre une autre voix solide en la personne de Celso Albelo, habitué à Bellini et Donizetti, plutôt que de modestes tenorini baroqueux. On sent néanmoins la première peu inspirée, et il leur reste à polir leur approche de ce répertoire. En revanche, l’Hélénus fluet mais expressif de Paola Valentina Molinari touche juste, dans certains des plus beaux airs de cette serenata.
Est-ce un chef-d’œuvre ? Non, mais assurément l’un des meilleurs hommages rendus au disque au génie de Hasse.