Quel rapport entre l’opéra et Du métronome au gramophone, l’essai d’Emmanuel Reibel sur les relations entre la musique et la révolution industrielle au XIXe siècle ?
Les compositeurs tout d’abord, contraints par les évolutions techniques et sociales de reconsidérer leur art… et leurs tempi. « En un siècle où le mouvement des hommes, des marchandises et de l’argent va s’accélérant, la musique se transforme bel et bien en miroir du tempo moderne », constate l’auteur, convoquant Offenbach et ses « rythmes échevelés » à l’appui de sa démonstration. Rossini, avec son fameux crescendo, avait déjà commencé de transmuter l’opéra en machine infernale.
La production de masse et la notion de profit influent sur les œuvres ravalées au rang de produit. On ne parle pas encore de marketing mais déjà l’économie et la finance dictent la loi. Dans Der Ring des Nibelungen, Wagner met en scène « le remplacement du pouvoir féodal de Wotan reposant sur la suzeraineté, l’honneur, la gloire, par le pouvoir capitaliste matérialisé par l’or ». A Bayreuth, sur la scène du Festspielhaus, deux machines à vapeur servent à simuler le brouillard. La tragédie de l’or est aussi celle de l’art. Pour illustrer le conflit engendré par cette mutation, Emmanuel Reibel évoque Pierrot contre Arlequin dans Benvenuto Cellini ou encore le tournoi de chant dans Tannhäuser.
Les interprètes ne sont pas davantage épargnés par cette transformation de la société. De la même manière que qualifier une musique de mécanique est le meilleur moyen de la déprécier, comparer un chanteur à un automate revient à souligner son défaut d’intelligence expressive. « Jamais le moindre petit accès de verve ou d’entraînement. C’est la serinette bien organisée qui refit imperturbablement aujourd’hui ce qu’elle disait hier et ce qu’elle dira demain », écrit en 1827 le journal La Pandore à propos de Laure Cinti-Damoreau. La virtuosité ne suffit plus ; il faut du sentiment. Olympia, la poupée des Contes d’Hoffmann, ne représente-t-elle pas « une mise en garde contre la machinisation des interprètes » ?
L’électricité naissante est mise à profit pour éclairer les théâtres – et ainsi diminuer le risque d’incendie. Sur scène, elle est utilisée dès 1849 pour simuler le lever de soleil dans Le Prophète de Meyerbeer. Ancêtres de notre streaming, le gramophone et le théâtrophone introduisent de nouvelles manières de consommer la musique, n’en déplaise à Jules Massenet qui dans une lettre datée de 1911 prévient le directeur de l’Opéra-Comique, Albert Carré : enregistrer sa musique reviendrait à la « tuer ».
Voilà parmi d’autres quelques considérations relevées au fil des pages d’un ouvrage argumenté et documenté qui pose un regard inédit sur un sujet moins austère que le titre ne le laisse supposer.