Le récital de musique sacrée fait désormais partie des marronniers du disque, un genre auquel toute star confirmée de l’art lyrique se doit de sacrifier à un moment ou à un autre de sa carrière. L’exercice est risqué. Pour quelques réussites – Francoise Pollet, Roberto Alagna… – combien de ratages, combien d’enregistrements englués dans une religiosité factice et mercantile. A l’exemple de bon nombre de ses consœurs et confrères, après une deuxième maternité qui l’a obligée à mettre entre parenthèses un parcours couronné de succès, Elĩna Garanča relève le défi. A lire le titre de ce nouvel album – Meditation – et à en découvrir le programme, on pressent l’entreprise mal engagée. Aligner dans un même récital des musiciens aussi différents que William Gomez (1939-2000) guitariste et compositeur espagnol auquel Wikipedia ne concède pas même une entrée, Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Gregrorio Allegri (1582-1652), Peteris Vasks (né en 1956), revient à mélanger les choux et les carottes, le risque étant finalement d’obtenir en guise de potage un indigeste brouet. C’est donc d’une oreille prudente que l’on aborde ce nouvel album. Mais la prudence, comme la colère, est parfois mauvaise conseillère.
D’emblée – le « Sanctus », extrait de La Messe de Sainte-Cécile de Charles Gounod –, on est saisi par la beauté de la voix, un son enveloppant, épanoui, capiteux qui n’exclut pas – le paradoxe est surprenant – un angélisme de circonstance. A cette plénitude sonore, s’ajoutent un port vocal majestueux, une longueur confortable, une ligne élégante et continue. Il émane de l’ensemble une sérénité consolatrice. Méditation ? On n’est pas loin du compte. En témoigne le célèbre « Agnus Dei » de Bizet dont l’épanchement mélodique n’entrave pas l’expression spirituelle. La placidité, que l’on a pu par ailleurs reprocher à Elĩna Garanča, devient ici atout. Il n’est pas besoin d’effets pour exalter la somptuosité de ces pages et la piété qui les motive. Le père de la mezzo-soprano était chef de chœur et la mère professeur de chant. Cet album serait un retour à une enfance imprégnée de musique chorale. La sincérité de l’émotion, ces racines profondes auxquelles le chant semble enlacé, l’attestent.
Evidemment, le programme est disparate et sa qualité inégale. Mais Karel Mark Chichon réussit à atténuer les creux et les bosses qui auraient pu rendre le parcours cahoteux. Sont traités avec le même respect des partitions aussi dissemblables que le « Salve Regina » de Puccini, d’une sobriété inspirée avec pour seul et unique accompagnement l’orgue recueilli de Gunther Rost, et « Dievaines » d’Ugis Praulins, une partition new age qui commence comme une musique de spa et s’achève en blockbuster hollywoodien. Quelques tubes – « Minuit Chrétien », l’Ave Maria adapté de l’intermezzo symphonique de Cavelleria Rusticana – ne déparent pas un paysage serein. Aucun souffle de vent, aucun nuage. Rien ne vient troubler l’oraison mentale. Plus étonnant, l’esprit, comme engourdi de bien-être, ne demande pas être tiré de sa torpeur céleste. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, et ça fait du bien.