Pour l’amateur d’opéra occidental, Dvořák se réduit à un titre, Roussalka, mais c’est là une des dernières œuvres du compositeur tchèque, créé en 1901, soit trois ans avant sa mort. Pour tout ce qu’il écrivit pendant les quatre décennies précédentes, n’est guère connu du lyricomane que le Stabat Mater de 1877, auquel on ajoutera malgré tout les fameux Duos moraves dont mesdames Schwarzkopf et Seefried ont laissé une version inoubliable. Ce ne sont là que quelques arbres qui ne devraient pas cacher une forêt pourtant dense et touffue : une dizaine d’opéras, de la musique sacrée et, aspect le moins exploré hors de son pays natal, des mélodies en assez grand nombre.
Le disque qui vient de paraître chez Supraphon sera donc sans doute une révélation pour les curieux non-Tchèques qui en feront l’acquisition. On y entend trois cycles de mélodies sur des textes d’écrivains nés autour de 1835, et donc appartenant à la même génération que Dvořák lui-même : Cyprès (1865), dix-huit poèmes où le jeune compositeur, pour sa première incursion dans le genre, s’affranchit d’emblée de toute contrainte strophique, cinq des douze Chants du soir (1876) et enfin les sept Mélodies tziganes de 1880, qui incluent le célèbre « Chants que ma mère m’a appris ». On y remarque notamment le rôle important dévolu au piano, et l’on salue au passage la prestation de Robert Pechanec au clavier.
Pavol Breslik (ou Bršlík pour le désigner sous le nom qu’il porte dans son pays natal) est sans doute à l’heure actuelle le meilleur ambassadeur qu’on puisse rêver pour faire découvrir cette musique. Le ténor slovaque est en effet un de ces artistes que les théâtres se disputent : la saison prochaine, il se partagera entre Munich, Londres, Vienne, Barcelone et Zurich, après avoir été Don Ottavio cet été à Aix-en-Provence. Et si sa prestance en scène n’est pas étrangère à ce succès, sa voix est tout aussi charmeuse. Le timbre est très clair, élancé mais masculin. Le vibrato rapide qui affecte certaines notes tenues n’a rien de désagréable, et la légère tension qu’on sent dans le si bémol aigu qui couronne la dernière des Mélodies tziganes contribue à la vivacité de l’interprétation. Après une Belle Meunière parue en 2015, l’artiste se tire une fois encore avec brio de l’examen plus attentif que permet la confrontation en studio avec le piano pour seul partenaire.