On cherchera vainement l’unité des mélodies de Duparc : sa production est trop sporadique pour que l’on puisse raccommoder les fils de son inspiration. Ainsi, rassembler l’intégrale des mélodies en un disque unique tient davantage de l’entreprise documentaire que de la constitution d’un tout artistiquement cohérent. Cela ne signifie pas que ses premières compositions soient sans mérite, tant s’en faut. Mais l’agitation post-schumanienne de La Fuite ou du Galop ne trouve aucune correspondance dans les irisations pré-ravéliennes de l’Invitation au voyage.
Si l’écoute intégrale de l’oeuvre lyrique de Duparc doit aboutir à un jugement d’ensemble, c’est l’étrange fascination de Duparc pour l’immobilité qui vient à l’esprit. Rares sont les compositeurs, communément experts dans l’art du mouvement qu’est la musique, qui ont à ce point creusé l’absence de mouvement, l’étirement du temps, la suspension de la voix au-dessus du vide (Phidylé) ou l’allongement interminablement inquiétant de l’écho (Au pays où se fait la guerre). Duparc cultive les accords creux (octave, quinte) et les grands intervalles (sixte, dixième) et confère ainsi au piano une sonorité médiane toujours un peu blême et chétive, soutenue par des basses massives, aussi disproportionnées que le Jupiter de Gustave Moreau face à une Sémélé qui se pâme autant d’amour que de phtisie. Rien que pour ces étranges beautés, Duparc ne saurait jamais lasser.
L’enregistrement que nous propose Timpani fait alterner soprano et baryton, ce qui constitue une excellente solution pour tenir l’intérêt de l’auditeur en alerte. Malheureusement, la distribution est trop inégale pour que ce choix fonctionne véritablement. La voix de Vincent Le Texier est imprécise, comme sa diction est inintelligible. Son vibrato semble n’obéir à aucun contrôle, et les problèmes de justesse sur les grands intervalles sont quasi systématiques. La projection, enfin, est caricaturale. Mireille Delunsch, en revanche, ne prête pas le flanc à de telles remarques : sa ligne est claire, bien conduite, et menée avec grâce et justesse. On regrettera toutefois une diction parfois molle ainsi surtout qu’un manque d’imagination qui la pousse à recourir de manière trop automatique au port de voix, et à rester dans une palette de nuances et d’expressions si restreinte qu’on la croirait presque liftée. Cette impression vaut aussi pour le piano de François Kerdoncuff, que l’on aurait souhaité moins passif et moins gris, et qui tire un parti trop tiède de pages qui comptent parmi les plus sublimes au sein du corpus d’accompagnement. Notons enfin la belle apparition du ténor Guy Flechter, en duo avec Mireille Delunsch dans La Fuite.
Hugues Schmitt