Les deux comédies de Donizetti en un seul coffret, dans une présentation soignée et attirante ? Le mélomane peut se laisser tenter. Il est vrai que le maître de Bergame a écrit d’autres œuvres légères, parfois injustement négligées, mais L’élixir d’amour et Don Pasquale sont les seules à s’être maintenues constamment au répertoire, et elles représentent chacune, dans leur style propre, une quintessence de l’opera buffa, la première dans le genre pastoral, la seconde ressortissant davantage du vaudeville.
L’offre d’Opus Arte peut se targuer de solides qualités, qui sont celles du festival de Glyndebourne : professionnalisme de tous les intervenants, direction d’acteurs au cordeau, excellents cadrages et surtout la présence en fosse du London Philharmonic, dont le luxe de timbres et la discipline sans faille nous changent de ce qu’on entend souvent dans le répertoire pré-verdien.
A y regarder de plus près, cependant, les deux opéras n’offrent pas exactement le même niveau : L’élixir souffre de quelques faiblesses ; certes, on y appréciera la direction vitaminée d’Evelino Pido et la mise en scène vivante d’Annabel Arden. Mais le pari d’une transposition dans l’Italie rurale des années 20 avait déjà été tenté, avec combien plus de folie, par Frank Dunlop à l’opéra de Lyon (DVD Decca). Le metteur en scène britannique y bénéficiait de deux têtes d’affiche incomparables : Roberto Alagna et Angela Gheorghiu, alors au sommet de leur art et de leur complicité. Ekaterina Siurina a beau offrir une Adina belle et fraîche, aux formes pulpeuses et à la voix aérienne, rien ne peut chez elle se comparer à la flamboyance d’une Gheorghiu. Surtout, elle pâtit d’un Nemorino chanté par un Peter Auty bien pâle et maladroit en scène, qui a toutes les peines du monde à faire croire à son personnage de jeune amoureux romantique. La voix est belle et bien menée, mais le ténor serait plus à son aise dans un oratorio que dans cet ultime avatar de la comedia dell’arte. Alfredo Daza et Luciano Di Pasquale sont au contraire parfaitement idiomatiques dans les rôles de Belcore et Dulcamara, avec l’atout de physiques qui évoquent parfaitement d’un côté le militaire bellâtre, de l’autre le médecin charlatanesque et bien en chair.
Don Pasquale est un sans-faute. La machinerie tournante imaginée par Mariame Clément permet de faire se succéder les décors avec une fluidité qui colle parfaitement à l’intrigue. La drôlerie et l’irrévérence sont au rendez-vous, sans que l’esprit de l’œuvre ne soit trahi. Signe qui ne trompe pas : les nombreux rires du public, lesquels prouvent que la metteur en scène a retrouvé l’esprit pétillant et éternellement jeune de Don Pasquale. Vocalement, tout le monde est à sa place, du Malatesta sublimement phrasé de Nikolay Borchev au Ernesto sonore et désespéré d’Alek Shrader. Quant au Don Pasquale d’Alessandro Corbelli, il incarne son rôle à un tel degré de perfection que l’on plaint les basses qui devront lui succéder. Le public de Glyndebourne se tord de rire lors de la scène de présentation de l’épouse à l’acte II, et on met au défi le critique le plus acariâtre de résister à cet épisode. De la tenue de la voix au mouvement des sourcils en passant par les mouvements des bras, l’expression des lèvres ou encore la façon de se tenir, tous les éléments de jeux font que Corbelli est Pasquale au sens ou Taddei était Falstaff ou Del Monaco était Otello. Seule réserve, et elle est minime : malgré sa beauté sculpturale et sa défonce scénique, Danielle de Niese montre une voix un peu verte, et quelques aigus du début de l’œuvre sont un peu arrachés. Les choses s’arrangent par la suite, grâce notamment au soutien attentif d’un Enrique Mazzola qui couve ses chanteurs et veille à ce qu’ils puissent déployer leurs ailes sans trop de risques.
La note est une moyenne entre le bon résultat de L’élixir et le spectacle presque parfait offert par Don Pasquale.