Bien que ses œuvres soient assez rarement données hors de son pays, Dominick Argento fait figure de personnalité marquante dans l’histoire de l’opéra aux Etats-Unis, entre la génération Barber-Menotti et la constellation Glass-Adams. Incontestablement plus proche des premiers que des seconds, Argento s’est notamment fait remarquer pour ses opéras « littéraires » aux livrets ambitieux, au premier chef The Aspern Papers d’après une nouvelle de Henry James, créé en 1987 par Frederica Von Stade (voir notre article « Henry James à l’opéra ». Ce compositeur, qui fêtera le mois prochain ses quatre-vingt-dix ans, semble avoir toujours été attiré par les voix, puisque à ses opéras il faut ajouter une importante activité dans le domaine de la musique chorale ainsi que de la mélodie.
Toujours soucieux de promouvoir les créateurs de son pays, le label Naxos fait paraître un disque Argento qui attire l’attention sur ce dernier aspect, avec notamment le cycle qui valut au compositeur le Prix Pulitzer en 1975, From the Diary of Virginia Woolf. Un extrait des mémoires de Dominick Argento, cité dans le livret d’accompagnement, retrace la genèse difficile de cette œuvre. Ayant reçu commande d’une partition destinée à Jessye Norman, puis à Beverly Sills, puis finalement à Janet Baker, Argento dut plusieurs fois changer son fusil d’épaule, mais il parvint à trouver LE texte le plus adéquat en fonction de l’interprète. A la mezzo britannique, il choisit de confier les mots de sa compatriote Virginia Woolf, non pas ceux d’un roman – The Waves avait initialement été retenu – mais ceux du journal intime, entre 1919 et 1941, depuis la maturation de l’écrivain jusqu’à son suicide. On pourra comparer le présent enregistrement à la version captée avec la créatrice de l’œuvre. Confiée ici au baryton Brian Mulligan, l’œuvre frappe par le saisissant recours au falsetto qu’elle impose régulièrement à son interprète, effet de détimbrage totalement absent avec Dame Janet. L’univers sonore est assez proche de celui de Britten, la variété de jeu exigée du piano compensant sans peine l’absence d’orchestre (excellent Timothy Long). Evidemment, il est préférable de comprendre ce qui se chante, et Naxos aurait été bien inspiré de fournir au moins un lien vers les textes en question, malgré toute l’éloquence et la clarté de diction de l’interprète.
On retrouve la belle voix saine de Brian Mulligan dans une œuvre légèrement postérieure, The Andrée Expedition, cycle de treize mélodies créé en 1983 par le baryton Håkan Hagegård, le Papageno de Bergman. Pour ce chanteur suédois, Argento avait choisi d’évoquer l’expédition au Pôle Nord organisée en 1897 par l’aéronaute suédois Salomon August Andrée, avec l’ingénieur Knut Frænkel et le photographe Nils Strindberg, dont les corps ne furent retrouvés que trente ans plus tard. Le compositeur tenait à ce que ces trois voix s’expriment tor à tour, mais Frænkel n’ayant laissé que des notes techniques, il prit la liberté de lui inventer un discours plus personnel. Par-dessus de petites grappes de notes, les longues notes tenues mettent en relief la pâte vocale du chanteur ; les différentes humeurs exprimées par les trois personnages à divers moments exploitent toute sa palette expressive.
Maintenant qu’il est permis d’avoir une vision moins partiale et partielle de l’histoire de la musique au XXe siècle, peut-être des compositeurs jadis jugés d’arrière-garde finiront-ils par être réévalués. Soyons fous : un jour viendra peut-être même où l’on pourra voir un opéra d’Argento monté sur une scène française.