Remarqué par le public et la critique dans le phrasé de Rodolphe, les pianissimi charmeurs de Don José, et les séduisants aigus du Duc du Mantoue, le ténor Ukrainien, Dmytro Popov, nous fait aujourd’hui l’offrande d’un premier album entièrement dédié aux élans du cœur, comme l’indique son titre, à travers le prisme d’une galerie de personnages auxquels l’artiste se déclare viscéralement attaché : « Après avoir chanté ces rôles tant de fois, j’ai voulu enregistrer ce que j’ai appris à leur sujet et préserver une partie de leur jeunesse tant qu’elle est encore dans ma voix ». A l’écoute, on comprend d’emblée qu’il s’agit plus pour le ténor de graver ce qu’il sait faire avec panache et talent que de nous entraîner hors des sentiers battus. Le programme ne brille pas, en effet, par son originalité et à cet égard attendions-nous davantage d’âme slave, même si l’artiste nous offre toutefois de belles incursions dans le répertoire russe avec Iolanta, Le Prince Igor, Rusalka.
«… Quand on pense à l’opéra, on pense immédiatement à l’amour. Amour, appréhension et passion. Je voulais que mon premier album solo soit rempli de ces sentiments et auxquels et je m’identifie, et dans ces moments, tout comme eux, je ne veux jamais que cela se termine ! C’est ainsi qu’est né ce programme, une collection de déclarations d’amour et d’autres moments d’exaltation, souvent juste avant la tempête. J’étais ravi de m’unir et d’explorer ces magnifiques airs dans différentes langues et de différents styles musicaux… » Et l’on sent, en effet, dans la prestation de Dmytro Popov une véritable jubilation à habiter tant les frémissements imperceptibles du cœur que les déclamations enflammées avant un trépas sublime annoncé, crescendo, sur le fil du drame.
Lors de sa performance dans Un ballo in maschera au Capitole de Toulouse en 2014, Dmytro Popov nous avait impressionnés par ses moyens. Ils sont intacts, et l’artiste semble soucieux d’ailleurs de les montrer dans un chant délectable, mais dont la diction n’est pas toujours sans reproche, trahissant le slavophone sous l’italien ou le français. En outre, si le chanteur peut se targuer d’une grande aisance dans l’aigu, on regrettera toutefois un manque d’éclat du timbre. Mais qu’importe, puisque le ténor au cœur romantique donne une voix idéale à certaines des figures de sa galerie intime, tel que Rodolfo. L’émission nette, le phrasé souple, l’aigu ample sont autant de qualités qui font merveille dans le célèbre « Che gelida manina ».
Dmytro Popov s’engage ici avec énergie et on relève qu’il est aussi parfaitement capable de demi-teintes, et d’une belle palette expressive surtout en Don José, dont il avait fait sur scène un anti-héros presque pathétique et lequel dans cette interprétation au disque suscite chez l’auditeur une profonde empathie tant l’émotion est présente. Il y déploie une belle voix de ténor, puissante sans être tonitruante, colorée, capable de pianissimi superbes sur le « Et j’étais une chose à toi ». Le ténor semble d’ailleurs témoigner amour et estime au répertoire français, compte tenu de l’omniprésence de celui-ci dans le programme, avec notamment deux airs de de Gounod « Ah lève toi soleil » et « Salut demeure chaste et pure ». Une fois de plus, la capacité de Popov à caresser les cimes dans un pianissimo concentré est superbe.
Sur les rives russes, Popov est dans son jardin, La déclaration d’amour de Lensky pour Olga, « Ja liublu vas ! », est habitée par l’énergie des émotions quelque peu égocentriques du poète. Dans « Net ! Chary Lask Krasy Myatezhnoy » le comte Vaudémont de Popov « illumine les ténèbres de son âme ardente », en chantant avec un bel engagement. La cavatine de Vladimir « Medlenno den ugasal » du prince Igor complète le trio d’arias russes, le ténor se distingue dans le récitatif avec un rare intensité.
L’artiste décrit « Dein ist mein ganzes Herz ! » du Das Land des Lächelns de Léhar comme son « air incontournable pour les spectacles de gala », et ce n’est guère étonnant : il met en valeur à la fois l’élégance et la puissance de Dmytri Popov, ainsi que son excellent contrôle de la respiration et sa belle voix de tête. Il démontre également ici qu’il sait aussi styliser son chant et moduler une certaine démonstration de force pour éviter l’écueil de l’histrionisme. Le programme se termine sur une chanson folklorique ukrainienne distillée avec autant de désir et de passion que les airs qui le précèdent.
La direction de Mikhael Simonyan ne permet pas toujours d’apprécier pleinement la prestation de Deutches Symphonie de Orchester de Berlin. L’approche du chef donne l’impression d’une direction à deux vitesses, l’une enlevée parfois avec des emphases non attendues, exécutée tutto fortissimo, toute voile dehors comme dans « Dein ist mein ganzes Herz ! » , et l’autre d’une langueur qui ne s’explique pas, ce qui nuit parfois à l’homogénéité de l’ensemble ottamment dans « Ah, lève-toi soleil ! ». Un enregistrement recommandable donc pour la prestation du ténor ukrainien, mû ici autant par la vaillance que par le cœur dans un répertoire de prédilection.