Toujours présenté comme le compositeur central de la musique danoise contemporaine, Per Nørgard est à la tête d’un catalogue bien fourni (Cf. site de l’IRCAM, qui s’arrête pour l’instant à…1998 (1) !). Les trois œuvres réunies sur ce disque datent des années 1970, dont la Fons Laetitae (1975), enregistrée ici pour la première fois. Ces pièces tentent d’explorer « la beauté et la nature de la joie en musique, dans le but d’établir des alternatives aux éléments oppressants de la réalité (2) ». Durant ces années 1970, Nørgard enferme sa musique dans des schémas pré-établis, autant de concepts plutôt abstraits difficiles à cerner se définissant comme une sorte de « sérialisme organique » qui repose sur l’exploitation du nombre d’or et sur le principe de « série infinie ». Un concept que mentionnent tous les commentateurs, mais qu’aucun n’explique de manière exhaustive ! Et nous sommes bien en peine de faire mieux étant donné qu’aucun écrit théorique ne s’y attarde…
Dans un entretien accordé à Martin Anderson dans le périodique Tempo, le compositeur dit penser que « la musique est composée de nombres. La musique de Bach fonctionne très bien avec les nombres (3) ». Précisons qu’il eut été préférable, dans ce cas, de faire référence aux théories platoniciennes plutôt qu’aux analyses numérologiques fantaisistes et souvent délirantes de la musique du Kantor de Leipzig… Le compositeur avoue plus loin que si sa musique s’inspire des mathématiques il est bien incapable de déchiffrer une formule.
Malgré ces propos qui donnent du compositeur une image de dilettante, la musique de Nørgard est encensée par tous. Il nous faudra donc nager à contre-courant car l’écoute de ce programme est bien pénible. Il règne dans les œuvres réunies sur ce disque un parfum d’ennui absolu. Le retour à la simplicité voulu par l’ensemble des compositeurs danois de la seconde moitié du XXe siècle rime ici avec vide musical. Bien que l’interprétation de Bente Vist et de ses accompagnateurs soit parfaitement en phase avec le désir « norgardien » de lyrisme et de clarté, elle ne nous sauve pas de l’exaspération que provoquent en nous ces trois œuvres. En somme, on apprécie la transparence de l’ensemble et l’excellente prestation vocale de Vist (qui doit affronter quelques sauts d’intervalles assez risqués) mais on ne peut s’empêcher de sortir irrité du I Being Together de Seadrift qui s’appesantit pendant de longues minutes sur le seul mot « together »… L’utilisation Fortissimo du cromorne, instrument à vent de la Renaissance uniquement connu des passionnés d’organologie, n’est pas non plus très agréable (Torn apart-Seadrift). Nørgard a écrit, depuis ces années 1970, des œuvres bien plus intéressantes qui, sans délaisser totalement les principes alors d’application, les ont assouplis et intégrés à d’autres critères. Nous ne pouvons que conseiller aux curieux de se tourner vers ces pièces (les 2 dernières symphonies et quatuors à cordes, entre autres) et d’oublier très vite le présent album…
Nicolas Derny
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(1) http://brahms.ircam.fr/composers/composer/2423/
(2) Ivan Hansen dans le texte de présentation du disque.
(3) Martin Anderson, Composer in Interview: Per Nørgård Recent and Early, Tempo, New Series, No. 222 (octobre 2002), pp. 9-15