Philippe Herreweghe n’a pas son pareil pour nous faire redécouvrir un répertoire qu’une opulente tradition a appesanti. Des années passées à dégraisser Bach, entre autres, l’ont amené à aborder tout ce que sa baguette touche sous un prisme revigorant et racé. Son approche analytique extrêmement fidèle aux exigences de la partition n’a pourtant pas l’austérité d’une ascèse stérile. Ce dernier disque consacré à cinq œuvres chorales majeures de Brahms en apporte encore une fois la preuve.
Le Chant du Destin d’Hypérion est une œuvre en blanc et noir peignant la légèreté et la félicité du monde divin en opposition au poids de la condition humaine. L’image dichotomique du texte de Friedrich Hölderlin est sublimée dans une coda purement instrumentale reprenant le matériau angélique de la première partie et suggérant ainsi la promesse d’un au-delà merveilleux. L’accouchement d’un œuvre si poétique ne se sera pas passé sans mal puisque Brahms y aura consacré trois années. La juste expression, noble et directe, recherchée par le compositeur prend tout son sens avec l’interprétation magistrale du Collegium Vocale et de l’Orchestre des Champs-Elysées.
La Rhapsodie pour Alto, offerte à Julie Schumann (fille du célèbre couple de musiciens et amis proches de Brahms) pour ses noces est une illustration du voyageur misanthrope et de son insoutenable errance que seule peut-être la voix d’un esprit céleste pourrait apaiser. Beaucoup plus ambitieux et personnel qu’un service en porcelaine comme cadeau de mariage ! Il s’agit en fait d’un chant nuptial atypique et doux-amer : la rage du compositeur éconduit y fulmine sans ambages. Ces pages d’une densité (elles suivent de peu le Requiem) et d’une intensité rares sont ici merveilleusement servies par la musicalité à fleur de peau d’Ann Hallenberg. En diseuse envoûtante, la mezzo-soprano creuse le texte de Goethe jusqu’à la moelle et exprime chacune des inflexions musicales avec la profonde solennité et l’âcreté qu’elles exigent. Son instrument ductile et généreux est en parfaite adéquation avec la souplesse de ligne que Herreweghe a voulu insuffler à cette musique.
La maîtrise contrapuntique de Brahms est particulièrement mise à nu dans Warum ist das licht gegeben dem mühseligen ? Ce motet est d’une austérité toute religieuse que nous fait oublier le Collegium Vocale. Le, camaïeu de strates polychromiques subtiles qu’il déploie lui insuffle un élan salvateur. Ces qualités se retrouvent évidemment dans les deux dernières œuvres de ce disque, avec les couleurs remarquables des instrumentistes à vent dans le Chant Funèbre et un Chant des Parques particulièrement captivant.