Que le label italien Dynamic s’emploie à filmer les œuvres rares que montent les divers festivals de la péninsule, c’est très bien. Malheureusement, toutes ces manifestations n’atteignent pas les mêmes sommets, et ce qui peut sembler prometteur sur le papier s’avère parfois fort décevant. Que le Mai musical florentin veuille programmer des œuvres baroques, c’est très bien aussi, mais encore faudrait-il qu’il s’en donne véritablement les moyens. Pour cette résurrection moderne de La Didone abbandonata de Leonardo Vinci, il faut hélas déchanter. Déjà, à propos d’un autre DVD Dynamic, Il Farnace de Vivaldi, nous avions dû déplorer le niveau assez piteux de l’Orchestre du Mai musical : même constat cette fois, avec des cordes qui ne sont pas ensemble, notamment, et un résultat pesant. Le chef Carlo Ipata n’en peut mais, et les instrumentistes qu’on lui a confiés semblent bien incapables de conférer à leur interprétation le dynamisme nécessaire.
Par ailleurs, on s’interroge sur l’opportunité de publier une captation vidéo d’un spectacle aussi pauvre, et ce n’est pas seulement une question de moyens financiers, même si l’on soupçonne que sur ce plan-là non plus, le bilan ne doit pas être bien réjouissant. Certes, la scène du Teatro Goldoni est minuscule, mais là n’est pas le problème, et une équipe artistique inspirée pourrait sans doute en tirer autre chose. Dans un décor réduit à un escalier, une sphynge et quelques barres métalliques, avec des costumes comparativement fastueux, mêlant l’Afrique pour Iarbas, la Crête pour Didon et une Rome néo-classique pour Enée, Deda Cristina Colonna ne trouve guère à proposer que des déplacements dénués de toute valeur dramaturgique (on descend et on remonte inlassablement l’escalier, on va tantôt à droite, tantôt à gauche). Seule idée de mise en scène : le recours aux ombres chinoises – carthaginoises ? –, cache-misère qui tente d’animer un peu le spectacle, de manière parfois ridicule (un figurant joue avec une lampe de poche), tantôt carrément superflue, quand les mouvements d’un danseur se superposent à l’un des plus beaux airs de l’œuvre, le « Se vuoi ch’io mora » de Didon.
Autrement dit, la version CD suffirait amplement. Et encore, même les oreilles ne sont pas uniformément caressées par ce qui leur est donné à entendre. Carlo Allemano a l’âge d’Anchise plus que d’Enée, et les années ont laissé leur marque sur sa voix, désormais moins assurée dans l’aigu et dans la vocalisation, malgré l’énergie qu’il déploie. Raffaele Pé possède un joli timbre, dont on veut bien croire qu’il fait merveille dans un certain répertoire, mais a-t-il vraiment la vigueur nécessaire à incarner un personnage sur scène ? Sa mollesse d’accents ne rend guère crédible le prétendant malheureux de la reine, et le prive de tout caractère menaçant. Faute de consistance et de consonnes, le contre-ténor italien se révèle inapte à jouer les bad boys.
Bien que mal entourée, il y a heureusement Roberta Mameli, superbe Didon, toujours aussi grande sculptrice du verbe, et maîtresse d’une voix éclatante, actrice convaincante tant dans la rouerie d’une coquette qui veut rendre Enée jaloux en feignant d’épouser son rival que dans le désespoir de l’amante qui ne peut retenir l’objet de ses vœux. On remarque d’ailleurs combien le suicide de la reine est traité avec sobriété par Vinci : un monologue en récitatif accompagné, « Vado, ma dove ? » (aucun rapport avec l’air alternatif écrit par Mozart pour Il burbero di buon cuore), qui ne débouche même pas sur un air, mais sur des adieux où la voix s’éteint doucement.
Autour de ces trois personnages principaux s’affairent les trois confident(e)s, confiés à trois voix bien caractérisées : la soprano Gabrielle Costa pour la sœur de Didon, non pas Anna mais ici Selene, la mezzo Marta Pluda en compagnon de Iarbas, et la contralto Giada Frasconi, l’avantage revenant aux voix les plus graves.