Stendhal et la musique : un truisme, un pléonasme presque, qui imprègne le dictionnaire amoureux de Dominique Fernandez. Si les entrées relatives au quatrième art sont peu nombreuses – « Musique » évidemment, « Rossini » comme il convient, « Mozart », « Cimarosa », « Castrat », « Scala » – le sujet affleure au fil des pages, car « avec l’amour, et autant que l’amour, la musique a été la grande affaire de Stendhal ».
La musique ou l’opéra ? Stendhal confesse dans Henry Brulard : « Je ne sais combien de lieues je ne ferais pas à pied, ou à combien de jours de prison je ne me soumettrais pas pour entendre Don Juan et le Matrimonio Segreto, et je ne sais pas pour quelle autre chose je ferais cet effort ! ». Et aussi, dans Souvenirs d’égotisme : « Les plus doux moments de ma vie, sans comparaison, se sont passés dans les salles de spectacle. » Mozart retient sa préférence plus que Rossini avec lequel il entretient un goût conflictuel – « J’ai grand peur qu’on ne parle encore de lui [Mozart] quand l’astre de Rossini aura pâli. C’est qu’il a été l’inventeur de tous points et dans tous les sens ; il ne ressemble à personne, et Rossini ressemble encore un peu à Cimarosa, à Guglielmi, à Haydn ».
Cette passion pour l’art lyrique infléchirait jusqu’au style de l’auteur de La Chartreuse de Parme. « L’écriture en apparence si sèche, si prosaïque de Stendhal est une écriture dont il a pris l’exemple dans les opéras autant que dans les codes civils » démontre Dominique Fernandez dans l’article sur les répétitions, ce péché d’écrivain dont Stendhal était coutumier. Le quatuor d’Idomeneo, son opéra préféré de Mozart, n’impose-t-il pas aux personnages, accablés de douleur, de répéter un grand nombre de fois la même phrase – Soffrir più non si può.
Un dictionnaire n’est jamais aussi amoureux que lorsque l’auteur partage avec son sujet les mêmes passions : l’Italie, la musique, la peinture. En un jeu de miroir captivant où la liberté de ton se conjugue au sens de la narration, les impressions de l’un répondent aux investigations de l’autre. Dilettantisme et érudition dialoguent de concert. La confrontation peut parfois tourner à la querelle. C’est amusé que l’on assiste par-delà le temps à la discussion vive autour de l’art de Bellini, coupable d’après Stendhal de ne pas de démarquer suffisamment de Rossini. « Décidément, Bellini n’est qu’une sorte de Gluck ; sa musique n’est qu’un récitatif obligé, et encore il n’y a rien de piquant dans son orchestre. Pas de chant ; quand il veut faire quelque chose de chantant, il tombe dans la contredanse, ou dans le chant d’église », écrit -il en 1831 à son ami Adolphe de Mareste. Comment ? Pas de chant ! Dominique Fernandez eût-il eu plus tôt connaissance de cette lettre que de son propre aveu il aurait renoncé à l’écriture de son dictionnaire amoureux. Cela aurait été fort dommage.