Réunir dans un même dictionnaire amoureux Belle Epoque et Années Folles procède d’un même élan, explique Benoît Duteurtre. D’un même rythme, a-t-on envie d’ajouter. Une même pulsation trépidante. Le battement accéléré d’une modernité ivre de progrès, bien que momentanément interrompu par « le trou béant » de la première Guerre Mondiale,. La voiture supplante le cheval ; les cheminées se substituent aux clochers ; les femmes s’émancipent ; l’homme devient pressé. A ce propos, pourquoi avoir privé d’une entrée Paul Morand, lui qui incarne mieux qu’un autre la sensation de vitesse propre aux premières décennies du XXe siècle ? Elémentaire, mon cher Lupin, pour laisser plus de place aux musiciens.
Nombreux sont en effet les compositeurs à imprégner de leur nom les 600 pages de l’ouvrage : Debussy, Lehár, Ravel, Hahn, Messager, Strauss et Straus – Oscar, l’auteur des Trois Valses – Satie, Ibert, Yvain… Mais où sont passés Poulenc et Stravinsky ? L’approche, prétendument amoureuse, impose des choix que l’on ne saurait remettre en cause. Telle est la règle du jeu – Renoir, 1939 : hors sujet ?
Ce cortège de musiciens entraîne à sa suite une joyeuse troupe d’articles plus ou moins annexes. Des genres – le jazz, l’opérette… – ; des lieux – l’Opéra Comique, le Bœuf sur le toit – ; des œuvres –Daphnis et Chloé, Toi, c’est moi, la comédie musicale de Mosés Simóns dont Benoît Duteurtre retient non sans nostalgie le refrain de la chanson « Adieu Paris » comme un clin d’œil au « Connais-tu le pays » de Mignon* d’Ambroise Thomas – un compositeur du monde d’avant :
Adieu, adieu ô mon Paris joyeux
Pays divin et mélangé où fleurit l’étranger…
Qu’il est difficile de capter en un seul volume, fût-il consistant, l’esprit de cette époque, le substrat de ces années tant ils se dissipent dans de multiples directions pour finalement s’anéantir dans les bombardements de la Deuxième guerre mondiale. Là est la limite non de l’auteur mais du sujet, même circonscrit pour l’essentiel à Paris, même axé d’abord sur l’expression artistique – outre la musique, l’ouvrage dans sa partialité assumée traite en priorité de littérature, un peu moins d’arts plastiques et de sociologie, peu de politique et d’économie.
« A tort ou à raison, la Belle Epoque et les Années folles sont restées dans l’histoire occidentale – et dans la mémoire française en particulier – comme deux moments lumineux », écrit d’emblée Benoît Duteurtre, à la rubrique « Age d’or ». Son Dictionnaire amoureux nous en offre l’inégal reflet.
* « Connais tu le pays ou fleurit l’oranger… » – Mignon, Acte 1